Samedi dernier, Adel Abdelrezak, enseignant au centre universitaire de Khenchela et Ahmed Rouadjia, docteur d'Etat en histoire et sociologie politique ont été les hôtes du Café littéraire de Béjaïa pour débattre de la lancinante question de l'état de l'université algérienne . Pour M. Rouadjia, l'Université s'enfonce dans une «médiocrité envahissante», dans «les ornières du sous-développement», réduite à «la gestion des flux». Des 503 étudiants en 1954, le chiffre est multiplié par 2700 fois. Presque 1,4 million d'étudiants peuplent aujourd'hui les campus du pays. «La quantité escamote la qualité», estime M. Rouadjia. Les rares docteurs du bon vieux temps se comptent aujourd'hui par «chapelets», regrette-t-il en dénonçant l'arabisation «anarchique et calamiteuse ». la violence dans l'Université d'aujourd'hui est selon M. Rouadjia, un des facteurs de la «dégringolade de l'Université algérienne» qui souffre aussi de «l'absence de vision du monde chez les décideurs politiques». «L'intérêt est accordé aux diplômes, aux notes, au prestige aux dépens du savoir. C'est la course pour la réussite sans effort», relève-t-il. Plus que «l'encadrement déficitaire», il estime que «la scolarité des enseignants est chaotique» parce que «l'arabisation les a coupés des sources d'information extérieures». L'Université est ainsi assimilée à «une immense usine qui fabrique des diplômes». «Nous sommes dans la scolastique et rien de plus», ajoute le directeur de labo qui n'accorde aucune circonstance atténuante aux enseignants, accusés d'être «des flatteurs, des caudataires, des peureux…». Il dénonce «un phénomène gravissime», celui des «enseignants paresseux et médiocres» et ne s'empêche pas d'accuser ceux-ci d'être «complices de l'autoritarisme de l'administration». M. Rouadjia ne s'arrête pas à cette salve. Les enseignants en prendront pour leur grade : «Des enseignants sont devenus maîtres de conférences et professeurs par le plagiat. Leur nombre est important.» L'accusation n'épargne pas le CNES, le syndicat des enseignants, «corrompu par le pouvoir politique, notamment par Harouabia», l'ex-ministre de l'Enseignement supérieur que le professeur ne porte dans son cœur. En ne manquant pas de charge, M. Rouadjia semble en avoir gros sur le cœur. Adel Abderrezak fustige quant à lui l'implémentation système LMD «l'équipe de professeurs qui s'est baladée dans les universités occidentales et est revenue avec un document copié-collé», révèle-il en sa qualité d'ex-membre de la commission Benzaghou, dans la sous-commission Université et recherche. «Dans le rapport final qu'on a mis en forme comme collectif, le mot LMD n'y était pas. Ils ont désigné une commission faite en partie de gens qui étaient dans la commission et des personnes qui n'ont rien à voir avec la commission. Ils ont fait le rapport supposé officiel qui a été exécuté par Benbouzid», dénonce l'ex-syndicaliste qui pense qu'«il existe en permanence une expropriation intellectuelle du pouvoir politique envers l'intelligentsia». Adel Abderrezak reste indulgent par rapport à ses 45 000 collègues qui «ont subi la désyndicalisation et la perte de repères» face à une «administration absolutiste qui fonctionne comme un parti politique». «Chaque université est un Etat dans un Etat», illustre-t-il. «Les enseignants sont responsables bien sûr, mais je me sens responsable par mon impuissance à changer ce monde. L'accumulation de faits fait que le silence est durable, total et collectif», dit-il et d'ajouter«aujourd'hui on a déconnecté l'Université de la société, de son intellectualité, du savoir critique». L'enjeu du savoir critique est qu'il «a une charge subversive» qui n'arrange pas les intérêts du régime politique. Si M. Rouadjia considère l'université comme une «immense usine», Adel Abderrezak la voit comme «une garderie massive» où se concentrent des «individus aseptisés». L'ex-syndicaliste du CNES considère qu'«on a dépouillé l'enseignant de sa fonction pédagogique pour en faire un tribun pédagogique». «Aujourd'hui, pour les délibérations, c'est un logiciel qui s'en occupe, l'enseignant vient signer le PV, qu'il soit traficoté trois mois après ou pas, que les copies d'examen soient modifiées dans la clandestinité la plus totale par l'administration universitaire,… Et cela existe». Le «tribun», le statut auquel est réduit l'enseignant, «remplit des formulaires, des notes et intègre les rapports de force pour qu'on ne lui casse pas sa voiture, que l'administration ne l'inquiète pas, que des connaissances ne lui mettent pas la pression…». Mais le «premier handicap» est, selon lui, dans «la gouvernance de l'Université». «On ne peut pas accepter que l'administration soit le seul acteur décideur de la pédagogie et du savoir ; une structuration de plus en plus mafieuse de l'Université, avec la logique des clans, de prédation et d'affairisme», proteste-t-il. M. Rouadjia conclut : «Si les choses ne changent pas au niveau du système politique et administratif, c'est que le côté lâche, peureux et maffieux des enseignants encourage et donne au pouvoir algérien la possibilité de le malmener et de le casser.» Adel Abderrezak, lui, en appelle à l'éveil de la famille universitaire pour «dire qu'on ne peut plus continuer à avoir des doyens, recteurs ou des nommés qui font la pluie et le beau temps», et pour ouvrir le débat sur «la démocratisation de l'institution universitaire, du savoir, et la libération des esprits et des initiatives dans une Université qui a encore la possibilité d'être sauvegardée.»