S'achemine-t-on vers une dépréciation ou plutôt une dévaluation du dinar ? La question mérite toute l'attention dans la mesure où la glissade continue de la parité du dinar, face à l'euro notamment, semble se traduire par un retour à la hausse des prix à la consommation. Mieux encore, cette parité a atteint cette semaine un pic inédit. Selon la cotation spot sur le marché interbancaire valable pour les opérations de commerce extérieur entre le 18 et le 20 mars en cours, un dollar vaut 97,25 DA à l'achat et 97,26 DA à la vente, marquant ainsi une chute brutale si l'on considère que le billet vert a fini sur une parité de plus de 82 DA à la fin du troisième trimestre 2014. A contrario, la parité euro-dinar semble emprunter le chemin inverse ; celui-ci est actuellement coté à 103,17 DA à l'achat et 103,20 DA à la vente, alors qu'il finissait sur 104 DA au troisième trimestre 2014. Plus que des fluctuations intempestives, c'est une tendance qui commence à prendre forme depuis quelques mois. Jeudi, la Banque d'Algérie (BA), dans son rapport de conjoncture pour l'année 2014, évoquait une inversion de la tendance dans la cotation du dinar par rapport au dollar et à l'euro à partir du troisième trimestre 2014. La BA a ainsi précisé que le cours du dinar s'est déprécié de 1,49% face au dollar en 2014 avec une dépréciation de plus de 6% rien qu'au 4e trimestre, tandis que la dépréciation du dinar face à l'euro a été limitée à 1,39% en 2014 grâce à une légère appréciation de 2,4% au 4e trimestre 2014 par rapport à 2013. Pour certains, les causes de la dépréciation des parités, et plus particulièrement celle du dinar face au dollar, sont évidentes. Du côté de la Banque d'Algérie, on estime qu'il n'y a nul doute que celle-ci n'est en fait que le reflet de l'évolution du taux de change sur les marchés internationaux. En effet, le dollar s'est fortement apprécié face à l'euro, au point d'atteindre la quasi-parité la semaine derrière, ce qui peut d'ailleurs expliquer que cette dernière se reflète dans les cotations du dinar face au dollar et à l'euro. D'ailleurs, on insiste du côté de l'autorité monétaire que le modèle de calcul du taux de change effectif réel n'a pas changé et qu'il a d'ailleurs été éprouvé. Et d'ajouter que le taux de change effectif réel demeure apprécié, écartant ainsi toute allusion à une forme de dévaluation en catimini ou de manipulation politique du taux de change de la monnaie nationale. Un avis que ne partagent pourtant pas les économistes. L'ex-cadre de la Banque centrale, Mohamed Ghernaout, pense que l'évolution de la parité dans ce sens précis peut en partie être justifiée par les fluctuations du taux de change sur les marchés internationaux, dans la mesure où le dinar a commencé à se déprécier face au dollar pratiquement au moment où le dollar a commencé à s'apprécier face à l'euro, en avril 2014. Il estime cependant que cet argument ne peut pas expliquer, seul, l'évolution de la parité du dinar par rapport au dollar et à l'euro. Renflouer les caisses de l'état
Le fait est que si le dinar s'est déprécié face au dollar, il devait s'apprécier face à l'euro dans les mêmes proportions, ce qui n'a pas été le cas. L'économiste estime également que la chute du dinar a été bien trop brutale pour s'expliquer par la simple fluctuation des marchés de change. Il explique ainsi que le dollar affichait une parité de fin de période à 78,10 DA en 2012, à 78,15 en 2013, à 78,49 au premier semestre 2014, à 79,89 au troisième trimestre 2014 pour finir l'année écoulée à 82,71 DA et à près de 100 DA aujourd'hui. Mohamed Ghernaout précise ainsi que l'objectif de cette dépréciation est de renflouer les caisses de l'Etat, dans la mesure où celle-ci a surtout accompagné la chute des cours du brut, dès juin 2014, laquelle s'est traduite par une baisse drastique des revenus dans un contexte où le gouvernement a engagé un important programme de dépenses publiques. Selon lui, c'est la manière la plus simple et la plus rapide d'engranger des revenus, technique d'ailleurs déjà éprouvée en 1991 et 1992. La dépréciation, poursuit l'économiste, permet ainsi d'engranger des recettes budgétaires supplémentaires sans pour autant trop affecter les prix à l'import et toucher au pouvoir d'achat des ménages, vu que l'essentiel des importations issues de la zone dollar est constitué de produits de base subventionnés. Et d'ajouter que la majorité des importations globales étant issues de la zone euro, les pouvoirs publics ont opté pour une légère appréciation avec le maintien d'une faible parité euro-dinar afin de ne pas emballer les achats. De son côté, l'économiste M'hamed Hamidouche met en cause l'opacité de la gestion du taux de change du dinar. Il estime que la fixation du taux de change de toute monnaie dépend d'un panier de devises et de coefficients de pondération tributaires de la prépondérance de telle ou telle devise sur les exportations et les importations de chaque pays. Et de préciser que dans le cas de l'Algérie, qui a opté pour un régime de flottement dirigé, à ces éléments s'ajoute un coefficient de stabilisation. Or, poursuit-il, il existe aujourd'hui un black-out sur ces éléments orientant les politiques de change et qui pourrait pourtant permettre aux opérateurs économiques de prendre les décisions leur permettant de se prémunir contre les risques de change. L'économiste estime aussi que le parallèle entre l'évolution du taux de change du dinar et les fluctuations du marché des changes aurait pu être logique dans un système de change transparent. Or, pense-t-il, rien n'est moins sûr. M. Hamidouche explique ainsi que l'une des pistes que l'on pourrait explorer pour expliquer la forte dépréciation du dinar face au dollar est la liquidité des placements des réserves de changes à l'étranger. Le fait que celles-ci soient en grande partie en bons du Trésor US, affecterait, selon lui, les disponibilités en dollars liquides à mettre à la disposition des opérateurs économiques. Melissa Roumadi