Ira-t-on vers une forte dépréciation du dinar ? La question mérite d'être posée au regard de l'évolution de la balance des paiements qui enregistre ses premiers déficits depuis plus d'une décennie. Si la tendance à la baisse des parités dinar-euro et dinar-dollar, ces dernières semaines, commence à inquiéter les opérateurs, la situation du marché pétrolier et la perspective de la baisse des revenus d'exportations induisant des déficits encore plus importants suscitent des interrogations en ce qui concerne l'impact sur la valeur du dinar. Le gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Laksaci, avait anticipé sur la question en tentant de rassurer, lundi face à l'APN , en estimant que le taux de change effectif réel demeurait élevé par rapport à son taux d'équilibre au regard des fondamentaux économiques. Le gouverneur de la Banque centrale a néanmoins convenu d'une légère dépréciation du dinar de 3,8% en 2013 attribuable, selon lui, aux fluctuations ayant marqué les marchés des changes et qui ont particulièrement impacté les monnaies des pays émergents. Des fluctuations ayant également induit une baisse de 4,32% de la parité moyenne dinar-euro au premier semestre 2014, laquelle s'est accompagnée d'une hausse de 2,31% de la parité dinar-dollar. Une baisse de la parité jugée minime par Mohamed Laksaci, si l'on prend en compte la situation des marchés des changes ainsi que le déficit de la balance des paiements. Cependant, dans la perspective de déficits plus importants de la balance des paiements, économistes et opérateurs économiques s'inquiètent de l'évolution du taux de change et de la répercussion sur les prix à la consommation finale. Inflation Selon l'économiste et ex-cadre de la Banque centrale, Mohamed Gharnaout, «si on s'en tient aux dernières statistiques du FMI, il y actuellement une appréciation de l'ordre de 5 à 16% du taux de change effectif réel selon les deux méthodes qui sont utilisées par la Banque centrale pour le calcul du niveau d'équilibre. Ce qui veut dire que le dinar est actuellement surévalué. Pour que le taux de change effectif réel retrouve son niveau d'équilibre il faut une dévaluation». Il pense cependant qu'«une dévaluation conduit fatalement à un renchérissement des produits importés, qu'ils soient de consommation ou de production, et donc à l'inflation. Dans un pays comme le nôtre, où le taux d'intérêt ne joue pas son rôle normatif d'attraction de l'épargne pour agir sur le niveau des prix des biens et services et, par ricochet, juguler le niveau d'inflation, cette dernière devient inévitable avec des impacts au niveau du pouvoir d'achat des citoyens, notamment les plus vulnérables, alors que les transferts et les subventions des produits ont atteint des niveaux élevés. L'augmentation des taux d'intérêt pourrait remettre en cause toute la politique de maintien des entreprises publiques moribondes et la politique de l'investissement et donc de l'emploi». Mohamed Gharnaout pense aussi que «la dévaluation est inévitable si les pouvoirs publics veulent avoir une balance des paiements soutenable et promouvoir une politique des exportations hors hydrocarbures, c'est-à-dire une diversification de la base économique et, partant, des exportations alors que l'on s'approche des horizons de 2030 de la fin des exportations du pétrole et 2050 du gaz». Nécessaires réformes Il pense ainsi que les autorités devraient entamer des réformes sérieuses du climat des affaires et des autres contraintes qui entravent la création d'entreprises, qu'elles soient locales ou étrangères. Ce qui implique également une réforme du régime des importations et des mouvements de capitaux. Pour sa part, l'économiste M'hamed Hamidouche estime qu'une gestion flexible du taux de change d'une monnaie conduirait automatiquement à une dépréciation de celle-ci en cas de perte brutale de revenus. C'est ainsi qu'il s'appuie sur l'exemple du rouble russe pour expliquer que celui-ci a perdu 30% de sa valeur ces derniers mois en raison de la situation du marché pétrolier, la Russie étant l'un des plus gros exportateurs de pétrole. Un exemple loin d'être transposable à l'Algérie, pense l'économiste, dans la mesure où la gestion du taux de change du dinar par la Banque d'Algérie, plus rigide, dépend aussi de considérations politiques. C'est ainsi que M. Hamidouche explique que dans une situation normale, la perte brutale de revenus conduirait à une importante dépréciation du dinar. Ce qui n'est pas le cas, la Banque d'Algérie devant maintenir le taux à un niveau qui limiterait l'impact d'une dépréciation sur les prix sur le marché interne, ceci d'autant plus qu'une grande partie de l'offre provient de l'importation. Une forte dépréciation du dinar conduirait ainsi à une flambée des prix insoutenable, avec toutes les conséquences que cela induirait sur le pouvoir d'achat et sur la paix sociale. Les entreprises en pâtissent Du côté des opérateurs économiques, c'est le manque de dialogue et de compréhension qui est mis à l'index. A ce sujet, le président de la Chambre de commerce et d'industrie, Mohamed Laïd Benamor, a estimé qu'au-delà de l'impact de la dépréciation du dinar en termes de perte de changes, les opérateurs économiques ont du mal à comprendre les critères présidant à la gestion du taux de change. Il a estimé, à ce sujet, qu'un meilleur dialogue et une meilleure compréhension de la gestion du taux de change permettraient aux opérateurs économiques d'établir des prévisions et de mieux se prémunir contre les risques, au lieu de subir les fluctuations comme c'est le cas aujourd'hui. Ceci d'autant plus que les pertes de change touchent non seulement les marges et les performances de l'entreprise, mais finissent aussi souvent par toucher le consommateur final via la hausse des prix. M. Benamor a également estimé que la politique de change ne peut en aucun cas être un moyen de freiner les importations, la solution ne pouvant venir que d'un dialogue constructif entre les pouvoirs publics et les opérateurs économiques afin de lancer les mesures urgentes à l'effet de promouvoir la production nationale et les exportations et freiner les importations.