Maladresse ou manipulation du discours présidentiel ? Il s'est produit un fait rare dans les annales de la parole présidentielle. L'allocution prononcée par Benamar Zerhouni, le conseiller de la présidence de la République, au nom de Abdelaziz Bouteflika à l'occasion de la fête de la Victoire dans la ville de Ghardaïa, a été modifiée dans sa version francophone. En effet, un passage – aux relents menaçants – concernant la presse a été ajouté insidieusement au texte original en arabe qui devait faire foi, et à l'insu du président de la République lui-même, affirment des sources dignes de foi. Un précédent grave qui renseigne sur le cafouillage qui règne au palais d'El Mouradia. Si en effet le Président assume pleinement les attaques formulées contre l'opposition, «il est totalement étranger au passage sur la presse», confirment encore nos sources. Soit. Cela étant dit, le règne de Bouteflika est fait aussi et surtout de menaces permanentes contre la presse. Que s'est-il passé ? Et qui en est responsable ? Une modification substantielle du texte de président de la République qui a suscité l'étonnement et l'inquiétude des professionnels de la presse, et a provoqué également un quiproquo au sommet. Dans la version francophone répercutée par l'Agence presse service (APS), on pouvait lire dans le message du chef de l'Etat : «Je constate que des pseudo hommes politiques, soutenus par une presse qui n'a aucun souci de son éthique professionnelle, s'évertuent, matin et soir, à effrayer et démoraliser ce peuple, à saper sa confiance dans le présent et l'avenir, ce peuple qui n'a pas accordé, et n'accordera pas, de crédit à leurs sornettes, ce peuple vaillant qui réprouve le mal et la déloyauté et méprise ceux qui s'y adonnent, ce peuple qui aspire à aller de l'avant et à investir l'énergie de sa jeunesse dans une dynamique nationale tous azimuts ayant pour finalité de construire et non pas de détruire.» Une attaque jugée excessive contre une presse qui ne fait qu'exercer son devoir d'informer l'opinion publique nationale sur ce qui anime la société. Contexte hostile C'est d'autant plus inquiétant que le passage concernant la presse intervient dans un contexte hostile, où des journaux indépendants subissent depuis des mois des attaques aussi viles qu'insidieuses visant à les faire taire. Difficile de croire à une imprudence à ce niveau de responsabilité, à moins que la parole présidentielle ait à tel point perdu de sa valeur. En rajoutant ce passage à son discours, ceux qui mènent la guerre contre la presse cherchent-ils alors à se cacher sous le parapluie du Président pour poursuivre leur croisade contre les voix dissonantes ? En mettant cette phrase assassine, annonciatrice d'une campagne de répression, dans la bouche de Bouteflika, veulent-ils se donner une impunité présidentielle pour achever les dernières poches de la liberté ? Tout porte à le croire. La tentative de «corriger l'imprudence» via l'APS par une dépêche, vendredi, en précisant que la fameuse phrase «dédiée» à la presse ne devait pas figurer dans le discours du Président ne fait que valider l'hypothèse selon laquelle le cercle présidentiel agit au nom du chef de l'Etat. Une usurpation de fonction. Si tel est le cas, Ali Benflis n'a pas eu tort de douter de l'identité même de l'auteur du discours du 19 mars. Il est vrai que dans la tradition, ce n'est jamais le Président lui-même qui rédige ses discours, mais il fixe tout de même les grandes lignes et surtout il tient à les relire avant de les rendre publics. Manifestement, ce n'est pas le cas pour ce qui du discours de Ghardaïa qui a prêté au chef de l'Etat des propos graves qu'il ignore. Qui sont alors les responsables de cette manipulation ? Les services de presse de la présidence de la République restent muets, entretenant la confusion et la suspicion. Un rectificatif n'est jamais suffisant pour réparer un tel dérapage, surtout quand cela émane de la plus haute institution de l'Etat.