Il a suffi de quelques déclarations de certains officiels sur la possibilité de reconsidérer le processus de privatisation pour que le débat économique s'enflamme. Certains membres d'entreprises publiques ont même menacé de faire grève. Et les argumentaires des uns et des autres commencent à pleuvoir. On se croirait au début des années quatre-vingt-dix lorsque le monde avait très peu d'expérience dans les processus de privatisation à grande échelle. On pouvait défendre n'importe quelle idée vu le manque d'expérience à grande échelle. Vingt-cinq ans après, nous avons derrière nous une riche expérience maintes fois analysée et théorisée. Certes, il n'y a pas de consensus total, mais nous comprenons le phénomène beaucoup mieux que par le passé. Il est normal que les protagonistes fournissent des analyses et des recommandations en fonction de leurs intérêts propres, mais en se prévalant de l'intérêt général. Ceci est fort connu. Lorsqu'on a une attente personnelle, on la présente comme une bienveillance pour le pays. La première réalité est la suivante : il y a des pays qui ont fort bien réussi leur processus de privatisations, et d'autres qui ont lamentablement échoué. On peut se prévaloir des uns et des autres pour défendre sa position. Ce qui implique que tout est dans la conduite des programmes. Lorsqu'un Etat dispose d'une vision, d'une orientation stratégique, organise la concertation permanente avec tous les acteurs, conçoit un programme de privatisations qui prenne en compte tous les intérêts et les craintes des acteurs et profite de l'intelligence de toutes ses ressources humaines en général, le plan de privatisation réussit. Mais lorsqu'une poignée de bureaucrates s'enferment dans leurs bureaux et pensent qu'ils sont plus intelligents que toutes les autres forces vives de la nation, ils bricolent «un plan» plein d'imperfections. Le dérapage est alors tout près. Expériences et interprétations On peut tirer de l'expérience internationale les exemples que l'on veut pour défendre n'importe quelle position que l'on désire. Si on préfère jeter l'anathème sur la privatisation, alors on évoque avec détail l'expérience de la Russie avant Poutine, le Belarus, l'Ukraine, etc. pour montrer du doigt l'échec d'un tel processus. Par contre, si l'on désire glorifier la privatisation, on peut évoquer la Pologne, le Tchéquie, la Chine, etc. Cette dernière a ramené son secteur public de 100% en 1999 à 35% en 2010 avec de brillants résultats. Et on évoque des faux problèmes sur le processus. Pendant de longues années, de nombreux économistes dans notre pays débattaient de la question du gradualisme et du traitement de choc. Faut-il y aller rapidement ou progressivement ? En réalité, c'est un faux problème. La Russie a fait le traitement de choc et échoué lamentablement, mais la Pologne a brillamment réussi avec une vitesse d'exécution appréciable. La Chine a réussi le gradualisme, le Belarus, l'Algérie et bien d'autres ont échoué dans le processus de gradualisme. Trêve de débat sur les faux problèmes. En réalité, les pays qui ont une vision, une stratégie et un plan cohérent réussissent, alors que ceux qui travaillent au jour le jour échouent, qu'ils fassent le gradualisme ou le choc. Le peu d'expérience que nous avons en matière de privatisation a été sujet à des interprétations très divergentes.Une analyse d'une expérience pareille - autour de 300 entreprises privatisées - est toujours complexe. Mais elle a été très simplifiée par des acteurs en fonction de leurs intérêts. Les anti-privatisations montrent du doigt quelques entreprises où le processus semble avoir donné de mauvais résultats : complexe d'El hadjar, laiterie de Draâ Benkhadda, etc. Ce sont des situations fortement médiatisées. Par contre, les études académiques indépendantes menées en Algérie (thèses de doctorat d'Etat) montrent que plus de 90% des cas de privatisation en Algérie menées en direction du privé national ont donné de bons résultats en matière de production, d'emplois et même d'exportations. Qui croire ? Nous avons besoin de plus d'investigations, pas d'opinions subjectives, idéologiques ou en fonction d'intérêts propres. Nous avons besoin de répondre avec des données aussi précises que possible à ces deux questions avant de trancher : que coûte le secteur public à l'Etat (assainissements, crédits non remboursés, etc.) ? Quel est son apport à l'économie (production, emplois) ? On peut le faire par entreprise également. Sans des réponses claires à ces questions, les idées reçues restent des dogmes ou des défenses d'intérêts personnels au détriment de ceux du pays. Les chaînons qui manquent Une économie de marché, généralement, évolue avec un secteur public dans les créneaux stratégiques et un secteur privé dominant. Les pro-privatisation ont raison de signaler que nous avons de nombreuses activités non stratégiques encore dans le giron public : agroalimentaire, textile, construction, etc. qui sont privées dans la vaste majorité des nations. Il est difficile de défendre leur maintien, à moins de procéder par des principes clairs de non-ingérence et non-dilapidation des deniers des citoyens. Les chinois sont les champions de ces politiques. Ils nomment des managers compétents dans les entreprises publiques, font très peu d'injonctions, mais ne font pas de distinction entre entreprises publiques et privées. Celles qui réussissent sont accompagnées et aidées. Celles qui échouent font faillite (sauf les entreprises stratégiques). Alors, on aura une saine concurrence. Mais notre système est injuste vis-à-vis du secteur privé et des travailleurs du secteur public. Lorsqu'une entreprise privée fonctionne mal, on la laisse partir en faillite ; lorsqu'une entreprise publique multiplie les déficits, on l'assainit et on en fait même un fer de lance de la relance industrielle. Lorsqu'on privatise ou qu'on restructure une entreprise publique, la protection des travailleurs est dérisoire. Pour débloquer le processus, il faut alors pallier ces deux injustices. Là aussi l'expérience internationale serait précieuse pour nous inspirer sur les voies à suivre. La première concerne les injonctions, les subventions injustes octroyées au secteur public. Si une entreprise privée d'agroalimentaire est efficace, on la taxe pour assainir une entreprise publique concurrente ; ceci est injuste. Il nous faut une commission d'équipe pour surveiller ces pratiques. La deuxième injustice concerne les cadres et les travailleurs du secteur public. Beaucoup de pays (Pologne, Chine) ont eu recours à un fonds de restructuration adossé à une expertise fine pour prendre en charge les intérêts des membres de l'entreprise. Si une entreprise est privatisée ou mise en faillite, ses équipements serviront à créer d'autres entreprises et les travailleurs seront pris en charge par un fonds de restructuration. Certains seront formés et reversés dans d'autres entreprises, d'autres seront aidés pour créer des micro-entreprises. Aucun membre ne doit rester sans ressources jusqu'à trouver un autre emploi au moins de même niveau de rémunération. D'ailleurs, la meilleure manière de débloquer le processus serait de privatiser en direction des cadres et travailleurs en les accompagnant de sociétés d'expertise pour réussir. Ce n'est qu'après échec qu'on peut les privatiser pour les privés nationaux avant tout. Le fonds de restructuration garantira qu'aucune personne ne restera sans ressources. Ainsi, toutes les craintes seront vaincues. L'opération aura une très forte probabilité de réussir. Mais je le reconnais, une multitude de détails restent à préciser. Faute de temps, ça sera fait dans d'autres rubriques.