En dépit de ses 77 ans et surtout de sa lourde maladie paralysante, Arezki Rabah, dit Abou Djamel, n'a pas pu assister à l'hommage qui lui a été consacré. Cependant, sa petite famille et sa famille artistique étaient présentes pour cette halte à la mémoire et au souvenir. En effet, outre ses proches, ses amis de toujours étaient présents en force. Parmi ces derniers, citons entre autres Baya Rachedi, Ahmed Benaïssa, Brahim Chergui, Rabia Abdelhamid, Nadjia Laraf, Amina Medjoubi et Aïda Kechroud. Qui de mieux que l'un de ses amis pour revenir sur le long et riche parcours de Abou Djamel. Dans une brillante présentation, le comédien Rabia Abdelhamid a survolé succinctement le parcours de ce montre sacré du théâtre, du cinéma et de la radio. Abou Djamel est né le 24 mars 1938 à La Casbah d'Alger. Ses parents sont originaires de N'Ath Abdelmoumène. A l'âge de dix ans, il incarne un rôle dans la pièce Le coiffeur. En 1950, il rejoint la troupe de Keltoum, aux côtés de Rouiched, Fadila Dziria, Latifa et Nouara. La même année, il obtient des rôles avec Mohamed Touri et joua dans les sketchs de Rouiched. En 1952, il rejoint la troupe de Sid Ali Fernandel. A partir de1953, il intègre la troupe communale dirigée par Bachtarzi, ensuite celle de la Radio et de la Télévision. Il décide de rejoindre les rangs du Front de Libération nationale en 1956. Il est alors arrêté et torturé par l'armée coloniale. Après l'indépendance, Abou Djamel rejoint la troupe de Omar Ouhada, Mustapha El Anka… avant de regagner, en 1964, la troupe du Théâtre national, où il a joué dans de nombreuses pièces, notamment celles de Rouiched, Hassen Terro, El Mechhah, El Ghoula et les concierges. Abou Djamel a également foulé les studios de cinéma. Il a, en effet, joué dans plusieurs films français, italiens et américains, dont un avec l'acteur français Jean Gabin (Pépé le Moko), et avec le réalisateur Vittoro Gasman (Broncoléone en croisade). Après le déroulement de cette biographie, la famille de l'artiste, ainsi que les comédiens et acteurs présents ont été conviés à monter sur la scène pour l'ultime photo souvenir. Le directeur du TNA, Mohamed Moussaoui, a remis une enveloppe d'argent à l'épouse de l'artiste. Place ensuite à la traditionnelle collation. Une des filles de Abou Djamel nous a confié en aparté que son père n'a pas pu assister à cet hommage. «Il ne peut pas trop bouger. Il a été amputé d'un pied en 2006. Il a subi, récemment, une intervention qui n'a pas réussi. Il doit en faire une autre prochainement. Ses amis de sa génération ne viennent pas le voir, soit pour raison de santé, soit à cause des escaliers. Ils ne peuvent pas monter cinq étages. Mon père a souvent signalé la panne d'ascenseur, mais en vain», dit-elle avec un regard d'ange. Pour Brahim Chergui, Abou Djamel n'avait pas de fausse modestie. C'était un artiste complet qui se permettait de chanter, jouer, composer et écrire également, et tout cela avec plaisir. Il maîtrisait tous les registres. «C'est, dit-il, le malheur de tout un chacun, car quand on est pluridisciplinaire, on se voit formalisé et stigmatisé dans un genre et dans un mode. Or, il avait les possibilités d'aller au-delà des modes et des genres, mais il officiait à titre d'utilité publique. Mais attention, quand vous le voyez dans d'autres registres, il est excellent. Il est important de signaler que c'est un militant de la guerre. Sa grandeur et sa hauteur d'âme, il ne les criait pas sur tous les toits. Il se mesurait à lui-même. Il connaissait sa valeur.» De son côté, l'artiste Ahmed Benaïssa estime qu'Abou Djamel incarne l'enfance même. «Il est aimé de tous. Dans la formation d'un comédien, il est dit que si on veut être acteur, il faut aller vers l'enfance et on y trouve tout. Djamel était un peu comme cela. Il avait beaucoup de talent. C'est un enfant dans sa tête. C'est quelqu'un qui n'a pas d'ennemis. C'est un type merveilleux. Ce qui est malheureux dans tout cela, c'est qu'un ami m'a appelé de Relizane pour m'informer qu'un comédien — qui n'était autre que Djamel — était hospitalisé à l'hôpital de Tipasa et que personne n'était venu le voir. Je trouve cela scandaleux et terrible à la fois», lance-t-il sur un ton navré. Pour Baya Rachedi, qui n'a jamais travaillé avec Abou Djamel, elle témoigne que ce dernier est un excellent comédien. C'est quelqu'un de formidable. Elle révèle qu'elle est partie le voir chez lui. «Il m'a raconté pas mal de choses douloureuses et tristes. Ce que j'aime chez lui, c'est sa patience. Il est un peu chagriné par le fait que ses amis ne viennent pas le voir. Je pense que c'est important de rendre hommage à un artiste de son vivant», argue-t-elle.