Un dictionnaire est le meilleur outil pour baliser un champ de recherche. C'est ce que nous offrent les éditions Chihab avec le «Dictionnaire des écrivains algériens de langue française (1990-2010)». Réalisé sous la direction d'Amina Azza-Bekkat, l'ouvrage regroupe plus de soixante auteurs ayant publié en français durant cette période. Plutôt qu'un dictionnaire, l'ouvrage se lit plus comme le survol de deux décennies de littérature à travers des propositions de lecture. Les contributeurs (de divers niveaux, spécialités et universités) reviennent sur des parcours d'écrivains dans un style vivant, révélant autant l'œuvre abordée que les préoccupations du chercheur. Si l'ouvrage n'a pas les défauts d'un dictionnaire, il n'en a pas non plus toutes les qualités. En effet, la liste des 60 auteurs n'est pas exhaustive. Des auteurs tels que Chawki Amari ou Kamel Daoud sont par exemple oubliés. «En l'absence de références complètes trouvées auprès des maisons d'édition, nous avons fonctionné de façon un peu aléatoire», déplore Mme Bekkat en introduction. Le traumatisme des années 90' aurait-il réduit au silence toute parole créative ? On a souvent parlé, un peu trop vite, d'une littérature de témoignage écrite dans l'urgence. Or, écrit-on vraiment dans l'urgence ? S'agit-il plutôt d'une écriture thérapeutique ? Est-ce la seule forme d'écriture en cette période ? Quelles en sont les traces actuelles ? Les universitaires se penchent sur ces questionnements pour offrir des éclaircissements, sinon des réponses. Le dictionnaire permet de revenir sur une période aux bouleversements importants. D'abord au plan politique : le multipartisme, puis la montée de l'intégrisme ont impliqué un positionnement idéologique de plus en plus affirmé. On voit par ailleurs l'émergence d'auteurs bilingues tels que Amine Zaoui ou Wassini Laredj. Il est d'ailleurs urgent d'aborder enfin la littérature algérienne dans l'ensemble des langues pratiquées et non à travers la lorgnette, forcément réductrice, d'un monolinguisme. Le départ de nombreux auteurs en Europe oblige également à penser l'écriture dite de l'exil dans sa complexité formelle et thématique. La prise de parole de jeunes auteurs issus de l'émigration, à l'image de Nina Bouraoui, nous interpelle aussi. En outre, des phénomènes littéraires et éditoriaux tels que les polars et romans à succès de Yasmina Khadra restent à analyser. Enfin, l'apparition d'éditeurs algériens privés modifie profondément les conditions de production et de réception des œuvres. On trouve par exemple des pages entières écrites en arabe dialectal dans «Les Bavardages du Seul» de Mustapha Benfodil. Publié en Algérie en 2003, l'auteur, connaissant d'avance son public, peut écrire «algérien» sans traduction. Cette œuvre qui sonne comme un magistral éclat de rire après une décennie de «cri aphone» (Cf. préface de Charles Bonn), ouvre sur une période riche en expérimentations littéraires. Le critique Rachid Mokhtari parle d'un «nouveau souffle» après une décennie de «graphie de l'horreur». Les écrivains contemporains jonglent désormais avec les langues, les registres et les genres comme pour conjurer les enfermements idéologiques d'un passé récent.