Il est attribué au président Bouteflika la volonté de réviser la Constitution pour «célébrer» la première année de son quatrième mandat. Publiquement, Bouteflika n'a encore rien dit sur ce qu'il veut de la révision de la Loi fondamentale. Pour lui et son entourage, le projet paraît politiquement important, voire stratégique. Mais pour la société, qui n'a pas été impliquée dans le semblant de débat, la révision constitutionnelle n'a aucun sens, aucun intérêt. Surtout que le pays est menacé par une grave crise financière en raison de l'effondrement des cours pétroliers, par la colère sociale de plus en plus forte et par l'instabilité chronique dans la région sahélo-saharienne. Amar Saadani, secrétaire général contesté du FLN, l'un des farouches défenseurs de la révision de la Constitution, croit savoir que le Président veut «instituer» un Etat civil. Or, Bouteflika est au pouvoir depuis seize ans. N'a-t-il pas eu le temps, tout le temps, pour instituer cet Etat ? Et comment se définit cet Etat civil ? Est-il question de renvoyer les militaires à leurs nombreuses casernes ? Ou s'agit-il de limiter les interférences des Services secrets dans toutes les institutions de l'Etat et dans leur fonctionnement ? Ou s'agit-il encore d'éviter à l'Algérie l'instauration d'un Etat théocratique ? Amar Saadani ne dit pas comment s'appelle l'Etat algérien actuel puisqu'il sous-entend qu'il n'est pas «civil». Un Etat policier ? Un Etat hybride ? Un Etat national ? Le secrétaire général du FLN se réfère à la Déclaration du 1er Novembre et à la Plateforme de la Soummam pour expliquer la notion d'Etat civil que son parti défend. Cet aveu est fort intéressant. Implicitement, le FLN, ex-parti unique, reconnaît que l'esprit de la Déclaration du 1er Novembre 1954 a été violé et que la Plateforme de la Soummam a bel et bien été piétinée par les régimes d'après 1962. Des régimes nés de coups de force, de coups d'Etat, de renversements, de retournements de veste et de manipulations. Pourtant, l'Etat algérien a toujours bâti sa «légitimité» sur l'héritage de la guerre de Libération nationale. L'Etat civil que Bouteflika veut créer, selon Saadani, sera-t-il celui qui respecte d'abord les articles de la Constitution et les impératifs de la citoyenneté ? Sera-t-il celui qui ne réprime pas les libertés démocratiques et ne viole pas les droits humains ? Sera-t-il celui qui supprime toutes les barrières devant la liberté d'expression et la liberté d'opinion ? Sera-t-il celui qui met fin à la «justice de la nuit» et lutte contre la corruption et le vol de l'argent public ? Comme il n'existe aucun débat public sur la révision de la Constitution et sur son utilité, toutes les questions sont permises, dans un pays gouverné par un assourdissant silence présidentiel et par une froide logique de clans.