Rien, à l'université des sciences et technologies de Bab Ezzouar (Alger), n'indiquait hier qu'un mouvement de protestation était organisé par les enseignants. Les cours ont été assurés sans aucune perturbation. Les amphis, les laboratoires et autres salles de travail n'ont semblé connaître aucun mouvement de grève, avons-nous constaté. «Les plus anciens se rappellent sans doute les véritables mouvements de protestation, quand Brerehi, alors ministre de l'Enseignement supérieur, effectuait les déplacements au piquet de grève de l'USTHB pour s'enquérir lui-même de la situation et chercher un terrain d'entente avec le CNES», regrette un professeur de physique. «Que reste-t-il de ce monde ?» s'interroge cet enseignant rencontré au département de physique, qui a derrière lui plus de deux décennies de service ; il pense que les syndicats ont bien changé. «Personne ne veut s'impliquer réellement pour réaliser un projet de société. Les syndicats comme les partis politiques sont motivés par les intérêts conjoncturels. La société a changé, le monde du travail aussi», constate-t-il, exprimant son amertume face à ce qu'il appelle : «La dégradation orchestrée des élites.» Les étudiants vaquaient à leurs occupations habituelles. Entre la cafétéria, les salles de cours, les labos et les bibliothèques, les étudiants ne semblaient pas avoir le temps de s'informer sur ce qui se passait en dehors du campus. «Les examens sont pour bientôt. Pour réussir, il faut être prêts pour ne pas avoir à subir les synthèses et les rattrapages. J'espère que les profs de l'USTHB ne feront pas grève», répondent les étudiants interrogés devant le département de génie civil. Au piquet de grève habituel, rien de particulier. Des groupes d'étudiants échangent des copies en dégustant un énième café entre des tas de polycopiés. L'ambiance n'est pas à la protestation au niveau de ce campus, qui a pourtant abrité les mouvements les plus spectaculaires… Le Conseil national des enseignants du supérieur (CNES) a une autre explication. Dans les universités de la capitale, les professeurs sont pour la plupart des vacataires, donc peu motivés par ces mouvements de protestation. Le syndicat a également été victime de plusieurs manœuvres de déstabilisation au point, confirment certains enseignants, que le bureau local de l'USTHB «est complètement déstructuré. On ne trouve plus aucun affichage de ce syndicat ni même un appel au rassemblement classique pour un piquet de grève». Le CNES se félicite, par contre, d'une «excellente» adhésion à son mot d'ordre pour une grève de trois jours à l'ouest et à l'est du pays, amenant le taux national de suivi à plus de 85%, selon Malik Rahmani, président de cette formation syndicale, qui affirme que «les campus des wilayas de Sidi Bel Abbès, Oran, Constantine sont complètement paralysés». Ce qui prouve, selon le syndicaliste joint hier par téléphone, que «les enseignants du supérieur sont las d'attendre une amélioration de leurs conditions socioprofessionnelles». C'est un bilan catastrophique que l'université a réalisé cette dernière décennie. Sur les 52 000 prévues, seules 2000 thèses ont été soutenues depuis 2007, révèle M. Rahmani, qui dénonce une mise à mort de l'université algérienne à travers la précarisation de l'élite universitaire. Un professeur d'université perçoit un salaire de base de 45 000 DA, «c'est scandaleux». Le CNES dénonce aussi les arguments présentés au cours de la période de négociation et de trêve ayant duré plusieurs années entre la tutelle et le CNES. Les pouvoirs publics se cachent derrière les dangers de l'inflation et autres risques pouvant découler d'une soudaine augmentation des salaires des fonctionnaires du supérieur. «C'est faux. Le gouvernement devrait plutôt s'intéresser au marché informel qui brasse près de 40 milliards de dinars annuellement sans que ses barons ne soient inquiétés. Au lieu de resserrer l'étau autour des syndicalistes et des acteurs de la société qui travaillent sérieusement, le gouvernement gagnerait à combattre la corruption et la fuite des capitaux», soutient le président du CNES. Le CNES réclame, entre autres, l'ouverture du dossier relatif à l'amélioration des salaires et des modalités de promotion. Les portes du dialogue sont toujours ouvertes, assure M. Boudehane, chargé de la communication au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.