«En prévision d'un assèchement de la liquidité, la Banque d'Algérie est en train de mettre en place un instrument qui existait et que l'on a un peu oublié, le refinancement.» L'Algérie se prépare à faire face aux retombées du choc pétrolier qui grève lourdement les ressources depuis la chute des cours, en juin de l'année dernière. Il est clair que les réserves de change fondent et que les déficits du Trésor risquent de se creuser encore plus. Cependant, si les pouvoirs publics pensent à recourir aux financements bancaires pour maintenir certains de leurs projets d'équipements publics, il n'en demeure pas moins que la sphère bancaire risque, elle aussi, d'être touchée. Il y a quelques semaines, le gouverneur de la Banque d'Algérie lançait l'avertissement suivant : si les ressources des banques n'ont pas encore été affectées par la contraction des revenus induits par l'activité du secteur des hydrocarbures, elles vont l'être à partir de 2015. Le délégué général de l'Association professionnelles des banques et établissements financiers (ABEF), Abderrezak Trabelsi, est quant à lui plus tranchant. Dans un entretien à bâtons rompus, M. Trabelsi pense que le marché bancaire n'est plus en surliquidité. Il estime certes que le marché ayant fait face à des surliquidités structurelles durant de nombreuses années, induites par les dépôts du secteur des hydrocarbures et du produit de la fiscalité pétrolière injecté dans le circuit et alimenté par un baril à plus de 110 dollars, la situation a aujourd'hui changé. Le fait que des transactions ont été enregistrées sur le marché interbancaire il y a un peu plus de deux mois démontre que le marché n'est plus en situation de surliquidité. Le délégué général de l'ABEF précise aussi qu'«en prévision d'un assèchement plus accru de la liquidité, la Banque d'Algérie est en train de mettre en place un instrument qui existait et que l'on a un peu oublié, le refinancement». Il précise ainsi que la Banque d'Algérie se prépare à rouvrir les canaux de refinancement et qu'«un nouveau texte — qui n'a pas encore été publié mais a été approuvé par le Conseil de la monnaie et du crédit — redéfinit les règles d'accès au refinancement». Equipements publics VS entreprise… M. Trabelsi explique dans ce sens que cela ne veut en aucun cas dire que des banques sont défaillantes ou risquent de l'être, mais que la place bancaire va de plus en plus se diriger vers un fonctionnement normal et que les banques devront désormais assurer la fonction qui est la leur : chercher de la ressource pour financer le crédit. De même qu'il estime qu'en rouvrant les canaux de réescompte et de refinancement des effets des banques, la Banque d'Algérie, par le biais de la politique monétaire, aura un effet sur l'économie réelle. Il va sans dire que la Banque d'Algérie, en tant qu'autorité monétaire qui accompagne une politique économique, aura une incidence sur le financement des activités économiques. Interrogé sur le cas du financement des opérations d'importation, M. Trabelsi explique que ces dernières ne sont pas éligibles au réescompte et au refinancement par la Banque d'Algérie, qui agira désormais en tant que prêteur en dernier recours. De même qu'il estime qu'il est normal de voir la Banque d'Algérie agir en tant qu'accompagnateur d'une politique économique qui a pour objectif d'inciter au financement des investissements productifs au détriment des importations. C'est ainsi que la Banque d'Algérie a édicté, en décembre, un règlement divisant pas deux le plafond des engagements externes des banques ainsi qu'un règlement, au mois d'avril 2014, tendant à rendre moins rentable le financement des importations, visant à inciter les banques à financer l'investissement. Il va sans dire qu'à l'orée de la crise, les banques de la place sont appelées à jouer un rôle dans le financement d'une partie des programmes d'équipement public. Le délégué général de l'ABEF explique ainsi qu'avec la diminution des ressources budgétaires, les pouvoirs publics ont opté pour une rationalisation des dépenses avec un recours au financement bancaire. «Or, les ressources du crédit bancaire sont là pour financer l'économie réelle, à savoir les entreprises publiques et les entreprises privées», a-t-il estimé. Relèvement des taux d'intérêt Selon M. Trabelsi, les banques sont aujourd'hui face au défi de mobiliser de nouvelles ressources pour pouvoir financer les équipements publics de l'Etat et continuer à financer les entreprises aussi bien publiques que privées. Sans cela, poursuit-il, il risque d'y avoir un phénomène d'éviction de certaines opérations jusque-là couvertes par le crédit bancaire. M. Trabelsi rappelle que la circulation fiduciaire a atteint plus de 37 milliards de dollars et, pour que les banques puissent mobiliser ces ressources, elles doivent être dotées d'outils leur permettant d'offrir des incitations aux épargnants. Ce qui passera certainement par un relèvement des taux d'intérêt créditeurs pour attirer les épargnants et pas forcément des taux débiteurs, pour ne pas gêner l'activité économique. Il estime que la mobilisation de ressources nouvelles permettra de réduire son coût, ce qui permettra de limiter la hausse des taux d'intérêt débiteurs. Quoi qu'il en soit, M. Trabelsi considère que la sphère bancaire ne peut, à elle seule, répondre aux besoins de financement du marché. Il estime ainsi nécessaire le développement d'un marché financier. S'il dément les rumeurs selon lesquelles l'opération de rachat de Djezzy aurait contribué, à elle seule, à assécher la surliquidité bancaire, M. Trabelsi estime qu'il aurait préféré voir cette opération passer par le marché financier par l'émission d'obligations qui aurait sans doute éveillé l'intérêt des opérateurs pour un secteur très rentable. Il affirme que les pouvoirs publics ont une lourde responsabilité et qu'ils se doivent de donner un signal fort en introduisant de grandes entreprises publiques et des banques en Bourse. Il reconnaît toutefois que le marché financier ne peut se développer tant que le crédit bancaire demeure bon marché. Interrogé sur la capacité des banques à poursuivre le financement de crédits à taux bonifiés, notamment dans le cadre des dispositifs d'aide à l'emploi, le délégué de l'ABEF estime que la question se pose en termes de capacités du Trésor public, dans la situation actuelle, à supporter le coût de la bonification. Il note, dans ce sens, que ces dispositifs d'emploi aidés n'ont pas pour vocation de durer, mais juste d'amorcer la machine économique et qu'ils devront à terme s'arrêter. En tout état de cause, M. Trabelsi pense que toute politique économique se doit de se centrer sur l'entreprise car «c'est l'entreprise qui fait l'économie» et que «les pouvoirs publics ainsi que l'autorité monétaire ont pour mission d'édicter des règles et de mettre en place des incitations afin de faciliter l'activité des entreprises qui investissent et produisent au détriment des importateurs». «On est loin de cette situation», conclut-il.