La littérature algérienne d'expression française serait à un tournant décisif. Il serait prometteur, puisque la production est plus abondante que jamais. D'année en année, de nouvelles formes et de nouveaux auteurs se révèlent. «A l'indépendance de l'Algérie, on pensait que la littérature algérienne d'expression française s'éteindrait vite ; ces vingt dernières années ont vu l'émergence de beaucoup de nouveaux auteurs, tellement qu'on peine à tous les connaître, c'est un démenti clair, il y a une relève, l'avenir de la littérature algérienne de langue française est assuré». C'est Charles Bonn, professeur émérite, spécialiste de la littérature maghrébine, une autorité en la matière qui le promettait mardi 21 avril, au deuxième jour d'un colloque international sur la littérature maghrébine de langue française, organisé par le département de français de la faculté d'Alger. L'intitulé de la rencontre donne le «la» : «Au tournant du XXIe siècle : formes et expressions littéraires dans un monde en mutation». Pour la vingtaine de communicants venus des quatre coins du pays et d'ailleurs (France, USA) et rassemblés à la Bibliothèque nationale du Hamma, il s'agira de parler de «mutation» générationnelle pour certains, de «rupture» et/ou de «continuité» pour d'autres. Des auteurs, édités pour la plupart après les années 2000, sont au cœur de la réflexion : Aziz Chouaki, Yasmina Khadra, Anouar Benmalek, Mustapha Benfodil, Salim Bachi, Kamel Daoud, Mehdi Acherchour, Abdelkader Djemaï, Zoubeida Mameria… et bien d'autres. Les ombres de Camus, Kateb Yacine, Dib ne cessent pas pour autant de planer… Lectures et hommages croisés Deux jours durant, le micro passera d'une main à une autre. La notion de miracle et l'écriture de l'espace dans l'œuvre de Yasmina Khadra, le roman algérien comme procès de la globale-modernité, l'écriture de la pudeur et de l'histoire chez Anouar Benmalek, la question des harraga vue par Zoubeida Mameria, la définition de la littérature dite beur/issue de l'immigration, la représentation de l'exil chez Hamid Skif, le retour à Camus dans les romans de ce début du XXIe siècle, l'errance dans l'œuvre de Mehdi Acherchour, un retour sur l'œuvre de Malek Bennabi, la réécriture de l'histoire dans La dernière nuit de l'émir, de Abdelkader Djamaï, Mustapha Benfodil ou l'écriture «jouissive», les ruses de l'histoire dans la nuit des origines de Nourredine Saadi, le mélange des genres et des codes pour s'affranchir des frontières du réel… autant de thèmes que les spécialistes ont eu le temps de développer, le temps de deux jours d'échanges. Chaque prise de parole aura été celle d'un jeu de dédoublement, la voix d'un auteur amplifiée par celle d'un critique aux lectures plurielles. Les professeurs en littérature se sont mêlés aux jeunes chercheurs pour explorer les nouvelles voix. Mais pour les principales organisatrices du colloque, Amina Azza Bekkat, Afifa Bererhi et Bouba Tabti, de l'université d'Alger et de Blida, la rencontre était aussi l'occasion de rendre hommage à Christianne Chaulet Achour et Naget Khedda. «Elles méritaient d'être reconnues pour leur qualité de chercheuses et d'enseignantes à leur départ de retraite. Nous avons symboliquement préparé un ouvrage qui leur est dédié pour saluer des années de travail en tant qu'enseignantes», expliquait Afifa Bererhi, professeur de littérature et ancienne chef du département de français. Un hommage qui a submergé la salle d'émotion, plus d'une fois. Fella Bouredji