Il n'y a qu'en Algérie où les protégés du système – ministres, hauts fonctionnaires et hauts gradés de l'armée – ne risquent pas de tomber dans les rets de la justice. Cela en fait trop pour ne pas le penser avec ces scandales en série dont la liste ne fait que s'allonger sans que cela ne suscite la moindre réaction des plus hautes autorités du pays, du président de la République au Premier ministre en passant par le ministre de la Justice et le parquet. La liste des membres du gouvernement nommément cités dans les arrêts de renvoi des affaires de corruption, avait été inaugurée lors du premier procès Khalifa à Blida. Des membres du gouvernement Ouyahia, à l'époque, MM. Medelci, Tebboune, Bouguerra Soltani ainsi que le secrétaire général de l'UGTA, Sidi Saïd, avaient été appelés à la barre en tant que témoins. Leurs auditions restent sans suite à ce jour, même si leurs aveux devant le tribunal ne pouvaient pas laisser indifférente une justice qui se respecte. La sortie, il y a quelques jours d'un livre de deux journalistes français, Paris-Alger : une histoire passionnelle, a ajouté une couche supplémentaire au tableau noir des scandales politico-financiers qui affectent les premiers cercles de l'entourage présidentiel. D'autres membres du gouvernement sont épinglés dans ce brûlot, mêlés, selon les auteurs du livre, à des affaires de transfert illicite de devises, à travers l'acquisition, dans des quartiers huppés de la capitale française, de biens immobiliers cossus. Le ministre de l'Industrie, M. Bouchouareb, et le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, cités par les deux journalistes, n'ont pas démenti l'information ni affiché leur volonté de poursuivre en diffamation les journalistes en question. Le procès de l'affaire autoroute Est-Ouest commence lui aussi à livrer des noms, à l'instar de Amar Ghoul auditionné par écrit et dont le juge a reconnu au procès la difficulté à le faire venir à la barre vu sa position de «petit magistrat», selon ses propos. Les dernières accusations portées dans l'enceinte parlementaire par les députés du Parti des travailleurs à l'encontre de la ministre de la Culture, Mme Labidi, ne font que discréditer un peu plus l'Exécutif et, au-delà, le président Bouteflika en sa qualité de premier responsable du pays. Il faudra certainement s'attendre à d'autres déballages de la même veine dans les jours et semaines à venir. Dans les Etats de droit, lorsqu'un ministre ou un commis de l'Etat est mêlé à une affaire, aussi banale soit-elle, il prend immédiatement ses responsabilités en démissionnant pour se mettre à la disposition de la justice afin de préserver sa famille politique. Chez nous, non seulement les personnalités épinglées redoublent d'arrogance au lieu d'adopter un profil bas mais, plus grave encore, personne ne se sent interpellé par ces scandales. La question qui se pose est de savoir, dans ce marais des affaires, dans cette «arche de Noé» qui sombre lentement mais sûrement, emportée par le flot de la corruption, qui peut demander des comptes à qui ? C'est que l'on n'est plus dans le registre de cas de malversations isolées, mais bien dans une forme de corruption institutionnelle. C'est ce qui explique ce silence des plus hautes autorités, des personnalités incriminées, mais aussi et surtout de la justice devant l'avalanche de scandales de corruption qui gangrène le pays.