« Mon art, c'est moi. Ça peut être de l'art plastique, de la vidéo ou de l'art contemporain. Et même s'il n'est pas exactement défini, il reflète ma sensibilité. » C'est ainsi que décrit Zoulikha Bouabdellah ses réalisations vidéos et ses peintures. Une vocation qui l'a vite aidée à prendre conscience des contradictions de la vie et de l'interaction qui existe entre les objets et les sociétés. Pour Zoulikha, rien n'est statique ou figé. Tout évolue et se transforme au grès des influences, des confluences et des échanges entre individus. Zoulikha n'est pas liée non plus à un lieu où elle se retirerait pour trouver de nouvelles idées. Au contraire, elle est présente partout. « je n'ai pas d'atelier comme la plupart des artistes qui s'isolent pour pouvoir créer. Moi, je ne suis pas fixée à un endroit spécifique. Je crée des choses en fonction de mes voyages et de mes rencontres avec les gens. Je suis ouverte à tout. » Née à Moscou d'un père et d'une mère algériens, épris de cinéma et d'art, Zoulikha est diplômée, entre autres, de l'école nationale supérieure d'arts de Paris-Cergy, puis lauréate du programme « Villa Médicis Hors les murs » à Cape Town en Afrique du Sud en 2005. Philosophe à sa manière, malgré son jeune âge, Zoulikha Bouabdellah s'inspire, dans son travail, du « concept des mutations sociales et culturelles ». Cette notion est devenue, avec le temps, le fil conducteur qui guide tous ses travaux artistiques. « Le départ a éduqué mon regard » Petite histoire de photo à Casablanca (2005), femmes-voiles (2004), ou cité Dallas à Oued Zenati (2003), pour ne citer que ces trois vidéos, symbolisent largement l'interaction, l'échange et parfois même le rejet que peut manifester une personne face à une situation donnée. Elles démontrent aussi comment les contradictions, quand elles sont bien gérées, favorisent la mutation et permettent le changement. Ainsi, par exemple, dans petite histoire de photo à Casablanca, Zoulikha a fabriqué un rideau orné de motifs pour convaincre des jeunes hommes marocains à venir poser devant sa caméra. Une tâche délicate en soi, car les « acteurs d'un soir » refusaient de s'adonner à ce genre de jeu. « Il fallait alors expliquer et négocier avec eux pour qu'ils acceptent ma demande. Ainsi s'est créé un mouvement d'allées et venues et de dialogue autour du décor que j'ai improvisé. De ces échanges est née une forme de mutation dans les comportements de chacun de nous. » Dans femmes -voiles, elle met en exergue l'alternance des couleurs et établit une relation entre le visible et l'invisible. Influencée par l'histoire de ses parents, Zoulikha rêve d'un monde où l'on ne se détesterait pas sur la base de la couleur ou de la religion. Aimant « capitaliser » les expériences de sa vie, elle avoue vivre avec des contradictions, car, dit-elle : « On change tout le temps d'identité en fonction de l'endroit où l'on est et des personnes que l'on rencontre ». Et d'ajouter : « je ne suis pas la même quand je suis en France et quand je vais en Algérie. Il y a forcément des choses qui changent ou qui évoluent en moi. » Pourtant, de l'Algérie, elle s'est enrichie d'une expérience qui l'a rendue mâture. « C'est cette partance de l'Algérie vers la France qui a fait que je développe un autre regard sur mon art. Le départ a éduqué mon regard. » Zoulikha a participé à de nombreuses expositions à travers le monde au nom de l'Algérie. On peut citer, entre autres, Mori Art Museum à Tokyo, centre de Cultura Contemporania de Barcelone, Hayward Gallery à Londres, le centre Georges Pompidou à Paris, sans oublier Dakar et Varsovie. Représentée par la galerie B.A.N.K, elle devrait exposer prochainement en Tunisie, en Allemagne et au Brooklyn Museum, à New York. Prolixe, reine des mélanges les plus atypiques, Zoulikha est en éternelle transhumance artistique. Ça tombe bien car elle n'est pas prête de s'arrêter.