La publicité est un moyen de pression aux mains d'un régime rentier qui ne veut pas d'intermédiaire entre lui et la société. Ce constat est celui des participants au forum organisé, hier, par El Khabar sur «La publicité et la liberté de la presse». «La publicité n'est pas une affaire économique mais foncièrement politique. Elle nous donne à voir un régime politique rentier qui, par son traitement de la question, bloque toute évolution normale du pays. Le régime ne veut pas convaincre mais réprimer et il ne veut plus d'intermédiaire entre lui et la société», estime Nacer Djabi, sociologue. Omar Belhouchet, directeur de publication d'El Watan, a rappelé l'évolution du régime dans son traitement de la question de la publicité : «Mouloud Hamrouche a engagé des réformes et l'une des premières mesures prises par son gouvernement a été de supprimer le monopole sur la publicité, avant même l'adoption de la Constitution de 1989. Il y avait une volonté de l'équipe dirigeante de l'époque de promouvoir une presse libre.» Une «réorientation stratégique» est engagée après l'arrivée de Belaïd Abdessalem. «Il y avait une volonté franche de freiner l'essor démocratique de la presse libre. En août 1993, le chef de gouvernement Belaïd Abdessalem a décidé de réinstaurer le monopole sur la publicité publique de l'ANEP pour une période provisoire de trois ans. Nous constatons que cette mesure illégale est toujours en vigueur alors que le délai a expiré», déplore-t-il. Avec le président Liamine Zeroual et son ministre de la Communication, Abdelaziz Rahabi, il y a eu, selon M. Belhouchet, une «réelle volonté» de réglementer le secteur. «La loi sur la publicité proposée à l'APN par Rahabi visait à professionnaliser le métier. Le texte a été adopté par l'Assemblée, mais fut gelé et récusé par le Sénat après l'arrivée de Abdelaziz Bouteflika. Cet avant-projet de loi est étrangement le seul à avoir été rejeté par le Parlement.» Selon le directeur d'El Watan, la «politique d'Etat s'est affinée» avec des pressions engagées contre annonceurs privés. M. Belhouchet parle d'une «politique d'Etat conçue au plus haut point de l'autorité politique» dont la mise en application est confiée aux ministres de l'Industrie et de la Communication actuel. «Depuis le début du mois de mai 2014, il y a eu une évolution considérable dans la relation du pouvoir avec la presse. Une personne qui s'occupait des placards publicitaires à Djezzy a été fait ministre. La mission pour laquelle il a été nommé était de faire taire la presse contestataire. Les entreprises privées, tétanisées, ont été appelées une à une. Les agences de communication passaient leur temps au ministère de la communication. Des instructions ont été données pour faire payer à El Watan et El Khabar leur couverture de la campagne présidentielle», estime M. Belhouchet, qui signale que les deux journaux ont perdu, entre mai et décembre 2014, 50% de leurs recettes publicitaires. Actions en justice en vue Saâd Bouakba, chroniqueur attitré à El Khabar, estime, pour sa part, que le monopole d'Etat sur la publicité a été un moyen de «captation» de l'argent public. «Avec le monopole actuel sur la publicité institutionnelle, l'argent public bénéficie aux femmes et aux enfants des hauts responsables. L'ancien ministre de l'Energie Chakib Khelil a décidé de regrouper la publicité dans le Baosem. Cette initiative était le préalable à la corruption», estime le chroniqueur. Fouad Benhalla, ancien directeur général de RFI, déplore, lui, l'absence de grandes sociétés de publicité et s'étonne que l'Algérie, dont le marché publicitaire est faible (à peine 250 millions de dollars) ne dispose pas de lois qui réglementent ce secteur, à l'instar des pays voisins. Selon Cherif Rezki, directeur d'El Khabar, le projet de loi sur la publicité est «répressif» et ne permettra pas d'aller vers un «marché assaini». Abrous Outoudert, directeur de Liberté, a mis en avant les pressions exercées par les autorités par le biais du fisc, de la CNAS. Quelle posture adopter à l'avenir ? Selon Omar Belhouchet, une réflexion est engagée pour lancer des actions en justice et devant les députés. Maître Bourayou, qui salue l'initiative, assure qu'il s'agit, par cette décision, d'épuiser toutes les voies de recours internes avant d'engager des actions devant les instances internationales des droits de l'homme, à l'instar du Conseil des droits de l'homme.