Docteur Benouniche Abdelhak Psychiatre Régulièrement et de façon récurrente, les dysfonctionnements liés à la pratique psychiatrique dans notre pays manifestent leurs effets freinateurs du développement d'une discipline longtemps ostracisée par les pouvoirs publics. Le dernier exemple en date concerne une tentative d'OPA sur un service de pédopsychiatrie, sous la forme de l'affectation dans ce service d'un chef de service pour adultes, alors que des postes en rapport avec sa formation initiale sont toujours vacants. Pour comprendre la logique de cette situation absurde et son inconséquence, il importe de prendre la mesure d'un rapport de force où la domination de la psychiatrie d'adultes est sans partage, la pédopsychiatrie étant sous tutelle, susceptible tout au plus de bénéficier d'un strapontin à l'ombre de «la grande sœur», mais certainement pas d'une reconnaissance de son autonomie. Il faut saluer le courage et la ténacité des équipes de pédopsychiatrie qui militent inlassablement pour la reconnaissance de leur discipline comme spécialité à part entière, ce à quoi participe la mise en place récente d'un cursus de résidanat de pédopsychiatrie. Plus de 20 ans après l'assassinat de Boucebci, la pédopsychiatrie semble enfin faire l'objet d'un début de reconnaissance. La prise de conscience salutaire des pédopsychiatres pour une spécialité indépendante de toute tutelle n'est pas nouvelle, elle est le résultat de la longue lutte pour la reconnaissance de la souffrance mentale chez l'enfant et l'adolescent que Boucebci avait initiée et que des équipes soignantes ont prolongée par des pratiques humanistes auprès d'enfants et de leurs familles en proie à une grande détresse. L'histoire dira un jour la solitude de ces soignants face à des pouvoirs pleins de morgue et de suffisance, détruisant à coups de «règlements» ce que ces soignants avaient péniblement construit. Faut-il rappeler ici la fermeture des rares structures pédopsychiatriques de l'époque : clinique des Oliviers, centre de bab El Oued, clinique de deux-moulins et l'acharnement de l'administration contre les équipes soignantes concernées. Le coup de force contre lequel s'insurgent les pédopsychiatres n'est donc pas le premier, il s'inscrit dans la lignée des violences assénées à une discipline naissante menaçant le pouvoir omnipotent de la psychiatrie d'adultes. Il est à craindre d'ailleurs qu'il ne soit pas le dernier, comme le montre encore tout récemment la décision d'une chef de service fraîchement nommée de mettre fin à une activité pédopsychiatrique localisée au service de psychiatrie du CHU Bab El Oued, dont le but était d'élaborer des réponses thérapeutiques aux demandes massives qui lui étaient adressées. Dans le droit fil de l'héritage des premiers bâtisseurs, les psychiatres doivent exiger que la santé mentale de l'enfant et de l'adolescent devienne priorité de santé publique par la création d'espaces appropriés et leur institutionnalisation dans les zones géographiques peuplées, là où la misère matérielle se double d'une misère psychique handicapant gravement l'avenir des enfants. Soutenir une équipe soignante contre une mise sous tutelle étrangère à la vocation de cette équipe est une étape importante dans la prise de conscience de la spécificité de l'objet d'étude de la pédopsychiatrie, à savoir l'enfant et la satisfaction de ses besoins en santé mentale comme usager à part entière. Cependant, ce soutien doit dépasser le cadre étroit de l'opposition à une nomination incongrue pour devenir une revendication concrète des droits des enfants à bénéficier de soins appropriés prodigués par des soignants ès qualité dans des lieux consacrés. Cela suppose que soit reconnue la pédopsychiatrie comme discipline à part entière, œuvrant à la mise en place de dispositifs de soins en direction de l'enfance en souffrance. Il s'agit d'élargir et d'approfondir une solidarité circonscrite, focalisée sur un problème particulier, en un mouvement plus global porteur de principes fondateurs d'une politique de santé en faveur de l'enfance en souffrance mentale. La résurgence des problèmes liés à la pédopsychiatrie ressemble fort à un retour du refoulé qui prend l'allure d'un symptôme pour se manifester. Prenons garde cette fois à ne pas occulter ce qui insiste ! A vouloir éradiquer le symptôme dans ce qu'il incarne de vérité, le risque est grand de libérer une énergie mortifère, comme celle que le pays a connue il y a peu. Si la position défensive et ponctuelle du refus de la nomination d'un chef de service ne se transforme pas en action extensive centrée autour de la satisfaction des besoins des enfants en souffrance psychique dans tous les aspects que cette satisfaction réclame (équipes soignantes, soins, lieux, proximité, permanence, personnalisation), il est à craindre qu'elle reste confinée dans le cadre étroit d'une revendication corporatiste et qu'elle perde le souffle émancipateur qui l'animait au départ. Contre ce danger d'enlisement, il faut mobiliser les professionnels qui vivent au quotidien le drame des familles, mais aussi, puisqu'il s'agit des droits de l'enfant, interpeller la société civile pour que la lutte des professionnels ne devienne pas un monopole de compétences, mais demeure l'affaire de tous.