Des rues d'Alger et d'autres grandes villes du pays portent des noms d'Algériens morts pour le pays. Mais en dehors des personnes décédées durant la guerre de Libération nationale, les autres n'ont aucun statut. Des noms comme Mohamed Belouizdad, ou encore le premier porteur du drapeau algérien lors des manifestations de mai 1945, Bouzid Saal, n'ont pas de statut de martyrs. Pis, ils n'ont aucun statut. Durant près de 70 ans, c'était le déni presque absolu. Et il a fallu qu'un parti politique, le Front des Forces socialistes, ose la demande, pour que les autorités concernées sortent de leur tanière. Le FFS a en effet introduit, en 2014, une proposition de loi qui consiste à donner le statut de «martyrs» aux victimes de l'insurrection du FFS en 1963 et… à celles de mai 1945. Sans suite. Le Parlement, par le biais de l'Assemblée populaire nationale, n'a pas répondu favorablement à la demande des parlementaires du FFS. Et sans aucune explication. Cette demande du FFS a fait réagir, timidement, le ministre des Moudjahidine. Tayeb Zitouni avait en effet annoncé que son département allait «étudier la question». Mais plus d'une année après, il n'y a rien de concret. A part cela, il n'y a rien. Une sorte de chape de plomb est tombée sur cette période de l'Histoire du pays. Pourtant, la revendication ne manque pas. «Ce qui reste (…) intolérable, c'est le déni de droit à ces sacrifiés de ne pas être reconnus par l'Etat algérien dans leur qualité de chahid de la nation», écrit dans les colonnes du Soir d'Algérie Noureddine Amrani, un fils d'une victime des massacres de mai 1945. Mais pourquoi ce déni ? Cela est lié au fait que les dirigeants de l'Algérie post-indépendance ne veulent pas «reconnaître les sacrifices» de l'ère Messali, explique Mohamed Korso, historien et ancien président de la Fondation Mai-1945. Selon l'historien, cela constitue «une aberration, une cécité historique» qu'il faudra «corriger». Car, en dehors des prisonniers qui sont restés dans les geôles coloniales durant la guerre de Libération nationale, les autres n'ont aucun statut. «Ils ont le statut des victimes, exactement au même titre que les victimes de la rue», s'indigne M. Corso. Pourtant, poursuit l'universitaire, ce sont les responsables du PPA-MTLD (Parti du peuple Algérie, devenu Mouvement pour le Triomphe des Libertés démocratiques) qui «ont préparé Novembre 1954». L'historien ne perd pas espoir. Selon lui, «le changement des mentalités et le fait de dépassionner l'Histoire pourront permettre de donner un statut à ces martyrs qui sont en tout cas considérés en tant que tels par l'Histoire», estime Mohamed Corso. «Le pouvoir va finir tôt ou tard par donner un statut à ces martyrs», martèle-t-il. En attendant un geste «politique», les milliers de morts pour l'indépendance du pays bien avant le déclenchement de la guerre de libération attendent un statut.