Après des années de silence et de fuite, Abdelmoumen Khalifa a repris la parole devant le tribunal criminel de Blida où il est inculpé et témoin à la fois. Le même juge qui a instruit l'affaire est chargé de conduire le procès. Une curiosité judiciaire algérienne ! Le magistrat, qui connaît les détails du dossier donc, pose des questions précises à l'ex-golden boy et demande à ce qu'on ne sorte pas de «l'arrêt de renvoi». Et Abdelmoumen Khalifa a réponse à tout avec une incroyable assurance. Il se permet même de blaguer sur Christian Gourcuff, le sélectionneur français de l'équipe algérienne de football, qui n'aurait pas «l'expertise» voulue. Et de citer la chanson de Khaled, Men Oran El Marseille, pour «justifier» le financement du club de l'OM. Et à la question du juge sur la création de la compagnie aérienne Khalifa Airways après avoir lancé une banque, l'inculpé a cette drôle de réponse : «Une banque, c'est comme une compagnie aérienne. L'une transporte l'argent, l'autre les personnes !» Alors, Abdelmoumen Khalifa, qui dit s'être enrichi grâce à la petite pharmacie héritée de son père Khalifa Laroussi, prend-t-il le tribunal de haut ? Ou a-t-il reçu quelque part «des garanties» avant le procès ? Toujours est-il que l'ex-patron du groupe Khalifa dit des choses d'une extrême importance. «J'ai laissé des entreprises en bonne santé, pas en faillite, avant de quitter l'Algérie. Lorsque je suis parti, j'ai laissé les caisses pleines», confie-t-il au juge. A propos de Khalifa Bank, il déclare que l'actif était supérieur au passif à la fin 2002. «On n'est jamais arrivés à la faillite. On peut le démontrer», dit-il. Il précise que Khalifa Bank avait 97 milliards de dinars dans ses caisses et que Khalifa Airways détenait 93 milliards de dinars en Algérie et 10 milliards de dinars à l'étranger. Voitures blindées La compagnie aérienne à l'aigle bleu avait aussi quatre appareils. Abdelmoumen Khalifa dit que sa villa de Cannes (sud de la France), propriété de Khalifa Airways, a été bradée, revendue à un homme d'affaires russe pour 17 millions d'euros «alors qu'elle valait 100 millions». Ces déclarations impliquent une série de questions : où est passé tout cet argent ? Pourquoi avoir provoqué la faillite de Khalifa Bank et Khalifa Airways ? Pourquoi l'Etat algérien n'a-t-il rien fait pour sauver Khalifa Airways en rachetant ses actifs pour ne pas perdre l'entreprise ? Et pourquoi la villa de Cannes a-t-elle été bradée, liquidée ? Abdelmoumen Khalifa parle de «vol organisé des fonds de la banque». A ce niveau-là, le juge est tenu de convoquer à l'audience le liquidateur, Moncef Badsi, qui doit donner des explications, voire des éclaircissements. Idem pour l'administrateur provisoire de Khalifa Bank, Mohamed Djellab, actuel ministre des Finances. En 2004, Moncef Badsi avait révélé que Khalifa Bank avait prêté à l'argent à plusieurs clients qui ont refusé de le restituer. «Des poursuites judiciaires, même longues, seront engagées à l'encontre de ces débiteurs malhonnêtes», avait-il promis. Qui sont donc ces «débiteurs malhonnêtes» ? Ont-ils remboursé leurs dettes depuis cette date ? Où en sont les poursuites judiciaires contre eux ? Le même Moncef Badsi avait déclaré que Abdelmoumen Khalifa «remplissait» les comptes en attirant les fonds par de forts taux d'intérêt compris entre 17 et 21%. «Une partie de cet argent a été transféré vers l'étranger et a servi à l'acquisition de biens», avait-il dit. Or, à ce jour, il n'existe aucun bilan public connu sur les fonds récupérés par l'Etat algérien. Des fonds qui auraient été transférés à l'étranger par Abdelmoumen Khalifa. L'opacité totale qui entoure l'opération liquidation-destruction du groupe Khalifa autorise toutes les questions. Quel est le montant réel global de l'argent récupéré en Algérie ? Quelle est l'ampleur de la perte ? L'Etat a bénéficié d'un crédit de Khalifa Bank pour la construction du nouveau siège du ministère des Finances, l'a-t-il remboursé ? Même question pour la SNVI : qu'en est-il des voitures blindées qu'aurait achetées Abdelmoumen Khalifa au bénéfice de la présidence de la République ? A Al Jazeera, l'ex-golden boy avait dit qu'il avait «acheté ces voitures», au tribunal qu'il les avait «transportées». Donc ces véhicules (acquis en Belgique semble-t-il), existent bel et bien. Le procès de Blida va-t-il répondre à une autre question essentielle : quel est l'origine réelle des fonds de Abdelmoumen Khalifa. L'accusé affirme que sa fortune provient de la pharmacie. Logique ? Le juge est passé à autre chose sans creuser davantage sur ce point, pourtant important dans tout ce scandale. Car les Algériens n'ont toujours pas compris comment ce groupe est né, s'est développé à l'international, a crée plusieurs filiales, a recruté plus de 20 000 salariés, invité des stars du show biz à Alger, affrété des dizaines d'avions pour ensuite s'effondrer. Il existe quelque part un accélérateur de particules qui avait intérêt à faire disparaître physiquement le groupe Khalifa. Mais lequel ? «Abdelmoumen a sali l'argent propre et non pas, comme disent certains, blanchi de l'argent sale», avait confié le liquidateur. Alors, la vérité, toute la vérité sortira-t-elle du tribunal de Blida ? «Il y a des choses que je ne peux pas dire au tribunal», déclare Abdelmoumen Khalifa. Lesquelles ? Le juge Antar Menouar n'a pas insisté…