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Les petits bouts de papier de Khalifa
Au 12e jour du procès
Publié dans Liberté le 22 - 01 - 2007

Pour le liquidateur administratif d'El Khalifa Bank, le préjudice causé à l'établissement est nettement supérieur aux 3,3 milliards de DA fixés comme trou de la caisse principale. Celui-ci n'étant qu'un “smig”, un seuil minimum. Moncef Badsi a également estimé que les “petits bouts de papier” de Rafik Abdelmoumen Khelifa constituent un acte financier ordonnant un mouvement de fonds à ses subordonnés. Le plus important, selon lui, est de savoir où est parti l'argent et à qui il a profité.
Moncef Badsi, qui a assisté à toutes les audiences depuis le début du procès, aura étonné plus d'un avec ses déclarations et surtout leur teneur. Un silence de plomb s'est d'ailleurs abattu sur la salle au fur et à mesure qu'il égrenait ses chiffres mais surtout ses vérités. Expert-comptable depuis 1965, il connaît parfaitement les rouages bancaires. Il a été nommé à cette charge en 2003 sur décision de la commission bancaire. Il avait pour prérogatives d'élaborer un inventaire des choses “inventoriables”, réaliser l'actif, épurer le passif. Ainsi que le “grand problème de l'indemnisation”, qualifié par le liquidateur d'“évènement gravement douloureux”. “Il fallait répondre au plus pressé, aux 200 000 déposants potentiels. Chacun est un drame”. Depuis, les services de la liquidation ont élaboré près de 110 000 chèques et remboursé pour près de 7 milliards de DA.
À ces problèmes s'en ajoutent d'autres. “Pendant que nous nous battions sur le terrain, de l'autre côté de la frontière, en France notamment, il y avait des gens qui ne dormaient pas. À Paris, on a initié une liquidation de Khalifa Airways et Khalifa Rent a Car tout simplement parce que les appétits étaient aiguisés, notamment pour la fameuse villa de Cannes. Khalifa Airways nous a donné un front à ouvrir à l'extérieur. Et qui constitue aujourd'hui un des gros dossiers du contentieux international qui est au Liban, en Arabie Saoudite, à Genève, Londres mais surtout à Paris. Ce contentieux a ses raisons d'être pour la compréhension de la chose”. Et les explications, il en donnera.
La liquidation va saisir la Cour européenne contre l'Etat français
Le groupe Khalifa qui n'a aucune existence juridique n'a pas de raisons d'être pour lui. Le liquidateur préfère évoquer “la sphère Khalifa”. Au milieu se situe la banque qui collecte des fonds par divers moyens dont des “mécanismes motivants”. Ils émanent principalement de fonds publics et de petits déposants sous leurs diverses formes, des recettes à l'occasion des activités de Khalifa Airways “pas fidèlement rapatriés ou qui n'ont pas encore été rapatriés pour une utilisation ultérieure”. Il s'agit d'un “flot” d'argent “immense”. Et, “nous sommes loin d'en avoir l'étendue”, précisera-t-il. Autour de KB gravitent les agences implantées, et qui “dépassent” les normes en termes de nombre ainsi que de moyens humains et matériels, l'acquisition “d'avions, d'hélicoptères, de véhicules….”, ainsi que le financement de l'exploitation de toutes les entités juridiques de Khalifa. “Il y a KB, les Eurl Khalifa Airways et Antinea, plus les filiales détenues à 50% respectivement par KB et Airways, Khalifa Informatique, Construction, Rent a Car. K. Pharma était détenue à 75% par KB”. Le flux était à “sens unique” et servait au financement de l'investissement et du fonctionnement des entités. “Il n'a pas généré de retour systématique pour niveler la situation”. En matière d'octroi de crédit à un “élément de la sphère Khalifa”, il n'y a pas eu de respect des procédures. “C'est une facture très lourde que nous sommes en train de cerner”. Le liquidateur mettra en avant les “difficultés” rencontrées quant à la “captation” de l'information. Khalifa Airways a réalisé dans ce cadre une “performance” avec près de 30 milliards de DA. “Il s'agit d'une confusion que vient de clôturer la liquidation. Et une insuffisance d'actif que va subir la banque”, précisera Moncef Badsi. Toutes les entités de la sphère Khalifa auront, selon lui, “la même chose”. Pour protéger les intérêts des créanciers et de la banque, des démarches conservatoires et des mises sous séquestre ont été entamées en ce sens. “Le liquidateur a également cru utile de faire mettre en liquidation toutes les sociétés qui composent la sphère”.
C'est là que le liquidateur a pris “conscience” de l'existence de “gros dossiers” et déployés des “instruments” de défense. Il citera dans ce cadre les avions mis sous séquestre par l'administrateur et le dossier des stations de dessalement qui ne fait “à ce jour” qu'aggraver la situation. Néanmoins, le plus gros dossier est plutôt “le problème de la villa de Cannes” où une contestation a été introduite. “De quel droit le tribunal de commerce de Nanterre pouvait mettre en liquidation Khalifa Airways France, alors que la société Khalifa Airways a pour siège social Alger et qu'elle est de droit algérien ? On découvre sans le vouloir qu'il y a des gens intelligents qui s'accaparent des choses”, dira Moncef Badsi. La liquidation de KA France a pour origine le dépôt de plainte des agents employés en France. “Le juge a cru bon de sommer les dirigeants à Nanterre de verser un montant de 5 millions d'euros. La liquidatrice a préconisé la vente des biens. Tout ce qui se trouve autour de Khalifa en France y a été mis”. Il s'agit des biens de RAK et de Khalifa Airways France. La liquidation a “vite” réagi et pris le relais en introduisant un recours auprès du tribunal de Nanterre. “Nous avons été déboutés. Nous avons introduit un pourvoi en cassation avec une plaidoirie impressionnante. Nous avons également été déboutés. Il y a de gros intérêts en jeu. Et je dois reconnaître que la justice française n'a pas été loyale…”, précisera le liquidateur de KB. La prochaine étape consiste pour lui à saisir “la Cour européenne de justice ou la Cour internationale contre l'Etat français pour la liquidation de Khalifa Airways”. Il y a eu un “délit pour splitter une société de droit algérien”. Il y a eu également non respect du traité ratifié par les deux pays en ce qui concerne la liquidation.
El Khalifa Bank est une “coquille vide”
Moncef Badsi estimera que pour la réalisation des actifs, El Khalifa Bank est une “coquille vide”. “La substance qu'on aurait pu espérer est partie”. Elle enregistre au compteur un passif de “200 milliards de DA”. Quand on est optimiste, relèvera le liquidateur. Les potentialités sont de l'ordre de “38 milliards de DA”. “Les créanciers sont à plaindre. Ils ne pourront jamais récupérer plus de 5 à 10% des actifs”. Il mettra en avant les problèmes rencontrés pour le foncier et des biens acquis dans des conditions juridiques contestables. Certains acquéreurs ont aidé, selon lui, la liquidation à faire son travail. “Le foncier ? il y en a très peu, toute l'Algérie le sait. Je ne le vends pas maintenant à cause des problèmes mais c'est aussi une question de pertinence. Le prix du foncier ne fait qu'augmenter”. Il y avait également des milliers d'ordinateurs, des voitures et bien d'autres encore.
Plus grave, pour le liquidateur, la situation est plus que bancale. “Le pied de bilan est de 129 milliards de DA, les comptes à ordre représentent 92 milliards de DA”. La comptabilité de KB n'était “absolument pas expressive” d'une situation réelle. Les “archives” existent. “Tous mes collaborateurs, dont ceux de Khalifa, se sont dévoués pour mettre à ma disposition les documents disponibles que ce soit aux services des télécoms, de la monétique, du réseau...” Très importants pour récupérer l'argent. À Oued-Smar, où deux terrains appartenaient à Khalifa Construction, le liquidateur a installé 40 cabines récupérées de Dar El-Beïda dont “25” contiennent les archives. 90% sont, selon lui, classés, codés et archivés dans une base de données détaillée. “Nous allons commencer avec ça à restaurer les comptes”. Il existait par contre un arsenal de procédures ainsi que des “kilos et des kilos” de notes de procédures qui traitent de tous les aspects de la gestion bancaire. L'instrumentation existe, la compétence des effectifs également le système d'information est simple, l'un des meilleurs, mais fonctionne sur la base de la gestion de base de données, selon lui. “Ce sont les mœurs qui se sont perverties à cause d'un système de direction qui n'a pas été assidu, ni discipliné… Mais il ne faut pas qu'on donne cette impression que Khalifa c'est la peste”. On a assisté, selon Moncef Badsi, à des “flux déréglés” et à une fiabilité “discutable” de l'information. Avec pour pavé fondamental, l'engagement par signature. Il donnera pour exemple le cas des avionneurs qui se présentent chez Airways pour lui louer des avions en leasing. “Il leur faut une caution. KB est à côté. C'est la même famille, on donne la caution qui se chiffre en millions de dollars”. La sphère court là également un risque considérable. “La caution est enregistrée mais pas comptabilisée. Le liquidateur souffre aujourd'hui des avionneurs qui ne vont pas chez Airways mais plutôt à KB pour demander la caution”. Certains n'ont même pas demandé la situation financière de KA avant de lui octroyer le leasing se contentant d'une garantie bancaire de 1er ordre. “Il y avait une situation défectueuse et dans laquelle ils se sont retrouvés. Il l'ont faite s'enfoncer plus qu'il n'en faut”. Ils sont 5 avionneurs à représenter près de 70% du passif de la liquidation. “Ils bouffent à tous les râteliers”. Des voies de règlement sont en cours mais M. Badsi préfèrera ne pas en parler dans les détails pour ne pas nuire à ses capacités de négociation.
Le liquidateur mettra aussi en avant les relations avec les correspondants à l'étranger, des banques auprès de qui KB déposait des fonds ou en recevait dans le cadre de ses transactions. Il citera aussi les données enregistrées en “extracomptabilité”. “Est-ce une tare, un péché ? Ce n'est probablement pas fait exprès. Les effectifs font souvent des choses sans en prendre conscience”. Les exemples ne manquent pas. Parfois, il s'agit d'une simple “microcoupure” dans la transmission des données entre les agences et le siège sur le réseau qui entraîne une “détérioration” des données. “L'informatique n'est pas fiable”. Il relèvera qu'en 1998, 1999, 2000, 2001, les informations étaient “relativement” fiables. Elles se font plus “rares” par la suite.
“Les bouts de papier constituent une preuve”
Quant aux écritures entre sièges (EES), notamment les 11 qui intéressent le tribunal, il s'agit selon lui “juste d'un suivi d'argent mais globalement sans effet”. “Il ne faut pas qu'une mécanique comptable fausse le raisonnement et le débat sur les aspects juridiques et de responsabilité”, dira Moncef Badsi. Il expliquera qu'il faut distinguer entre “l'acte financier constitué par les petits bouts de papier non convaincants mais qui ordonnent un mouvement et l'acte comptable” qui relève, lui, le fait comptable. Il arguera en ce sens que RAK, en sa qualité de P-DG avait une “habilitation”.
“Dans une banque, les habilitations sont importantes. Le P-DG est ordonnateur”. Les 11 EES ne constituent pas “forcément” pour lui un faux. “Ils constituent une sortie véritable d'argent. Même si au niveau de la comptabilité, il n'y a pas de justificatifs. C'est l'ordre qui compte”, précisera le liquidateur de Khalifa Bank. L'acte en question est pour lui un “ordre d'avoirs à payer”. “Il y a un péché commis par l'ordonnateur, pas par le destinataire des EES, ni la structure. La machine reste en attente faute de justificatif”.
Pour Moncef Badsi, les EES ne sont pas une “obligation”. “Aucun juge, aucun expert ne peuvent s'adosser sur les écritures. C'est à la rigueur un début de preuves. L'ordre de déplacer, même sur des bouts de papier, déchirés, sales, c'est une preuve répréhensible et témoigne d'un fait”, précisera le liquidateur de la banque.
Il mettra en avant le fait qu'il y ait eu “2,4 millions d'opérations” certaines régulières, d'autres pas. La liquidation en a traité 2,3 millions. Il en reste à peu près 100 000 dont 40 000 en cours.
Il y a 60 000 qui pourraient encore en cacher. “Nous rencontrons des milliers d'écritures dans les comptes d'ordre. Nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge”.
Il a eu à rencontrer des opérations “malhonnêtes”, d'autres pas. Tels que les crédits octroyés sans que les bénéficiaires n'aient été soumis au processus coutumier ou encore les clients insolvables et “certains” cas précis de crédits maquillés. “Il y a eu un problème d'assiduité. Les procédures ont été respectées pour la majorité des cas mais pas pour certains”, dira-t-il. Elles n'ont jamais été respectées pour les filiales.
Les ratios ont été bafoués les concernant. Interpellé à ce sujet, Moncef Badsi remettra les choses dans leur contexte. “Qu'est-ce qui est le plus important, le respect des ratios ou le fait d'avoir 92 milliards de DA dans les comptes à ordre sur 129 milliards de DA ? Ou encore qu'on finance à tour de bras les filiales ? On se fait des illusions. Cela suffit pour déclarer la banque invivable”.
Il faudrait selon lui tout recalculer. Même à fin 2006, la liquidation n'a toujours pas fini de retraiter. Le préjudice de la caisse principale représente dans ce cadre le minimum, le “smig”. Le préjudice réel estimé pour l'instant à plus de 70 milliards de DA est encore loin d'être consolidé. La suite de son témoignage est pour aujourd'hui.
Samar Smati


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