Au 18e jour de la grève entamée le 13 mai dernier par une bonne partie des établissements universitaires affiliés au CNES, l'un des auteurs de cet article écrivait (1) à propos de la satisfaction des revendications légitimes des enseignants : « Quelle sera l'issue de cette grève ? Tout dépendra de l'entêtement de la tutelle à vouloir, à tout prix, prouver que c'est le gouvernement qui « offre » les augmentations de salaire et que ce ne sont pas les syndicats qui les ont arrachées. » La recherche du pourrissement est une de ses méthodes préférées, en témoignent les dernières arrestations des représentants des régions est, centre et ouest au jour du 28 mai 2006, 17e jour de grève. Au lieu de reconnaître que la situation s'aggrave et que les examens de fin d'année sont sérieusement perturbés dans un grand nombre d'établissements universitaires, elle laisse traîner les choses croyant à la démobilisation des enseignants. Et là elle se trompe, encore une fois, car les enseignants défendent leurs droits légitimes et restent déterminés, surtout après les dernières arrestations indignes et contraires à la déontologie universitaire qui affirme le rôle de la liberté dans l'épanouissement de l'être humain ». Aujourd'hui, en ce 69e jour de grève (plus de deux mois déjà), la situation actuelle à l'université semble nous donner raison sur ce point, car elle a empiré suite au départ en vacances d'un très grand nombre d'étudiants n'ayant pas passé leurs examens, n'en déplaise aux autorités et, de plus, celles-ci paniquent malgré les différentes déclarations du ministre et de ses représentants. Dans cet article, dans une première partie, nous allons montrer, à travers les positions des différents protagonistes, comment ont évolué les choses pour arriver à cette situation de pourrissement et de blocage et, dans une deuxième, nous donnerons notre point de vue sur le syndicat actuel. Sur la gestion de la grève après l'arrestation de trois représentants des enseignants grévistes. Tout d'abord, rappelons l'origine de la division du conseil national du CNES. Lors de sa réunion du 11 mai dernier, ce dernier n'a pu éviter la tentative de casser le mouvement de grève, votée lors les assemblées générales, par le recours systématique de la tutelle à la justice et n'a pu obtenir un consensus entre ses membres concernant la stratégie à adopter pour contourner la décision de justice quant à l'illégalité de la grève, et qui aurait pu maintenir sa cohésion et son unité face à un pouvoir de plus en plus hégémonique et autoritaire, d'où sa division en deux parties : la première (représentée par le coordinateur national), celle qui a pensé régler le problème du respect ou non de la décision de justice en recourant de manière mécanique au vote des membres du conseil national, au lieu des assemblées générales comme le stipule les statuts et aussi sans tenir compte du sentiment de lutte qui anime une bonne partie des enseignants ; la deuxième, celle qui a décidé d'aller à la grève en négligeant le cadre organique et son impact sur la gestion de celle-ci. Pour la suite de cet article, on les désignera respectivement par « CNES passif » et « CNES actif ». Part ailleurs, pour comprendre comment la grève a été mal gérée par la tutelle, et ce malgré le tapage médiatique concernant les résultats auxquels a abouti le « CNES passif », rappelons les évènements qui se sont enchaînés après ceux cités dans l'article cité (1), c'est-à-dire depuis le moment de l'arrestation de trois représentants du CNES en fin mai dernier jusqu'à ce jour (20 juillet) et ce, sur la base des déclarations des uns et des autres et des informations de la presse. Ainsi, nous avons remarqué que : La grève est gérée par les assemblées générales des enseignants grévistes (principe de base du CNES) et coordonnée aux niveaux régional et national par leurs représentants, c'est le ministre lui-même qui convoque à chaque fois le bureau du CNES, les résultats sont très partiels et une partie essentielle des revendications : la démocratisation de la gestion des universités, la question du logement pour les nouveaux demandeurs et l'augmentation substantielle et sectorielle des salaires ont été ignorées ou superficiellement abordées, le grave problème de la mise sous contrôle judiciaire de représentants du CNES a été délibérément mis de côté par le ministre et le « CNES passif ». Le coordinateur national du CNES et le nouveau « représentant virtuel » de la région centre ne font que répéter ce que dit le ministre après les rencontres avec celui-ci et déclarent être satisfaits par les résultats, les tentatives, de la part de la tutelle, de casser la dynamique de grève en mettant le paquet pour faire tenir les examens dans les universités de Blida (où un nouveau recteur a été installé en pleine grève) et de Constantine, en utilisant parfois des méthodes indignes et contraires à toute éthique (menaces sur les étudiants, utilisation des agents de sécurité et même des éléments extra-universitaires), ont lamentablement échoué, dans certaines déclarations de la tutelle et du bureau du CNES passif, on a tenté d'isoler les universités USTHB de Bab Ezzouar et USTO d'Oran en faisant croire que ce sont les deux universités rebelles. La situation s'est aggravée dans les campus par un départ massif des étudiants en vacances, sans faire leurs examens, et par des perturbations dans les soutenances de fin de cycle, en dépit des mensonges des autorités administratives (notamment certains recteurs) tentant de minimiser le nombre de grévistes et feignant d'oublier que l'impact de la grève (et c'est là, le plus important) est très fort car des dizaines de milliers d'étudiants sont touchés et que la rentrée 2006-2007 est menacée, en témoigne la panique du recteur de l'université de Constantine déclarant que : « aller à septembre, c'est aller au suicide » (2). Les autorités tentent de prolonger l'année scolaire (jusqu'au 31 juillet) et aussi d'intimider les grévistes : premièrement en les sanctionnant par un gel des salaires, deuxièmement en les menaçant de prendre des mesures administratives contre-eux en septembre (menaces proférées pendant la célébration de la date symbolique du 5 juillet, Fête de la jeunesse). D'après certains échos, la détermination des grévistes se manifestait quelquefois dans la gaîté et l'engouement, en témoigne le piquet de grève quotidien des enseignants grévistes de l'université de Boumerdès qui débutait toujours par un excellent thé sucré que nous faisait goûter une enseignante dévouée et enthousiaste. Le ministre convoqua encore une fois, le 16 juillet 2006, le « CNES passif » ainsi que les autres syndicats agissant dans le secteur de l'enseignement supérieur pour les informer (comme toujours) de ce qu'a décidé la tutelle, et ce, à la veille de la tenue de la coordination nationale des enseignants grévistes. Lors de cette dernière rencontre élargie, le ministre a lâché du lest en déclarant qu'il va demander aux parties concernées par la question du contrôle judiciaire qui touche trois représentants des enseignants sans donner de garanties et précisions. La coordination des établissements en grève, lors de sa réunion du 17 juillet, propose, pour montrer qu'elle n'est pas jusqu'au-boutiste, à ce que la décision de geler la grève jusqu'à septembre soit laissée à chaque établissement concerné, et ce, par vote secret (conformément au statut du CNES). Que peut-on dire sur cette situation ? Concernant le « CNES passif ». Ce dernier a montré ses erreurs et ses limites dans la mise en application du statut et du programme d'action du CNES, surtout le point concernant la grève des examens et n'a pas voulu prendre des initiatives pour essayer de ressouder le Conseil national. En effet, par l'application bureaucratique et automatique des dispositions du statut de l'organisation, à savoir : 1) Le gel de la grève votée par la base, suite à la décision de justice. 2) L'exclusion de certains représentants. 3) La déclaration que la grève est manipulée par certains partis politiques(3). Il a montré son incapacité à faire face à cette situation inédite et sérieuse du CNES risquant l'implosion (ce qui n'est pas souhaitable, comme on le verra plus loin). Langage officiel Ses activités se sont résumées à assister aux réunions programmées par le ministre pour entendre les décisions prises par les pouvoirs publics, et nous voyons à travers ses déclarations faites après ces rencontres que le langage qu'il utilise est des plus officiels en répétant presque exactement les termes du ministre. De plus, ce qui est plus grave encore, c'est que lors de la troisième rencontre avec le ministre (le 19 juin 2006), aucun mot n'a été prononcé sur les représentants sous contrôle judiciaire (négligeant ainsi le principe de solidarité syndicale), contrairement à celle du 30 mai dans laquelle le bureau du CNES « confirme sa détermination à faire tous les efforts pour trouver une issue les concernant » ainsi que sur la revendication syndicale importante concernant la démocratisation de la gestion de l'université. En se satisfaisant des résultats avec le ministre, il n'a pas tiré les leçons des grèves précédentes quant aux promesses non tenues ou partiellement tenues par les pouvoirs publics. D'ailleurs, cette fois-ci, la promesse d'une augmentation sectorielle substantielle « dépassant les espérances des enseignants » n'a pas été tenue et il semble que c'est l'UGTA qui s'opposa en voulant se limiter à celle (misérable d'ailleurs) de la bipartite d'où les syndicats autonomes et représentatifs sont exclus. Enfin, il projette d'organiser une université d'été, à partir du 20 août 2006, pour discuter des problèmes de l'université, du syndicalisme et de la place de l'enseignant dans la société. Ce qui est une bonne chose en soi, mais sa tenue dans les conditions actuelles de crise interne et de grève réduirait considérablement son impact et ne pourrait pas faire avancer le débat, vu le risque que de nombreux établissements en grève ne seraient pas présents. Ce qui ressemblerait à une exclusion de fait. Aussi, nous nous demandons si par ce projet qui risque d'occulter la crise interne, ce ne serait pas là un glissement vers un syndicat-maison. Concernant le « CNES actif ». La grève est gérée par les assemblées générales des enseignants grévistes et coordonnée par leurs représentants tant au niveau régional que national. A travers leurs déclarations locales, régionales et nationales, il ressort que leur détermination à poursuivre la grève reste intacte (des défections ont été constatées, mais sans grande conséquence sur le mouvement), et cela pour quatre raisons principales : Par solidarité syndicale indéfectible à leurs collègues encore sous contrôle judiciaire, (ce que n'a pas compris la tutelle et ce qu'a négligée le « CNES passif »), dont le retrait de la plainte à l'origine de cette situation est devenue aussi une de leurs revendications. Les résultats annoncés par le ministre et approuvés par le « CNES passif » sont très partiels et très insuffisants (les augmentations de la bipartite ont été décevantes). La promesse d'une augmentation sectorielle « dépassant les espérances » n'a pas été tenue. Et surtout que les intimidations et menaces ne prennent pas dans le milieu universitaire. Concernant les pouvoirs publics. Le recours systématique à la justice ou son instrumentalisation, la plainte contre des représentants des grévistes, le retrait de salaires, le refus de reconnaître la grève, le report des vacances, les tentatives d'isolement de la grève, les menaces administratives contre les enseignants grévistes, l'annonce en grande pompe, avec la bénédiction du « CNES passif », de résultats, creux en fin de compte et les augmentations chiffrées annoncées précipitamment en début juillet dans le cadre de la bipartite ont produit l'effet inverse que celui recherché, à savoir arrêter coûte que coûte le mouvement de grève. En effet, la tutelle a sous-estimé la réaction des enseignants et leur capacité d'organisation face à ces menaces suprêmes en oubliant que la force du CNES réside dans son mode de fonctionnement démocratique qui stipule que, conformément à sons statut, les assemblées générales sont et demeurent le lieu privilégié pour la prise de décision. De plus en mettant hors jeu la structure syndicale de la gestion de la grève, elle s'est retrouvée sans aucun pouvoir, face à des milliers d'enseignants déterminés et prêts à beaucoup de sacrifices pour défendre leurs droits et leur dignité, pour réprimer ou casser le mouvement de grève car en dehors du chantage alimentaire à travers la suppression des salaires et des différentes primes et de la mise sous contrôle judiciaire de porte-parole du mouvement de grève, aucune mesure coercitive ne peut être appliquée sauf que, si on suit le raisonnement des pouvoirs publics, elle doit mettre tout le monde en prison ou à défaut résilier leur contrat de travail. Mais là c'est un autre problème. Par sa politique qui consiste, comme nous l'avions déjà dit et montré à travers l'historique des grèves, à laisser les choses pourrir pour décourager ceux qui revendiquent leurs droits, les pouvoirs publics, à travers la tutelle, se sont fait piéger eux-mêmes. En effet, les derniers résultats inattendus du bac annonçant environ 220 000 nouveaux bacheliers et la reconnaissance, enfin, par des responsables de la tutelle que plus de 100 000 étudiants sont bloqués par les examens font craindre le pire pour la rentrée scolaire 2006-2007. Pour cela, ils doivent assumer leurs responsabilités sur la gestion catastrophique de la situation où ils ont plongé l'université. Ainsi, en conclusion de cette partie, lors de la rencontre organisée, le 16 juillet 2006, par le ministère avec les organisations syndicales de l'enseignement supérieur afin d'installer une commission pour le statut particulier, le ministre a annoncé qu'il va faire un geste quant à la levée des poursuites judiciaires (est-ce encore une promesse ?), et en réponse à cela et au blocage total des établissements en grève (pas d'examens), la coordination nationale des enseignants grévistes propose aux assemblées générales de décider par un vote secret du gel de la grève à partir du 25 juillet et de sa reprise en septembre vu que les revendications n'ont pas été réellement satisfaites malgré les déclarations du ministre. Ainsi, la situation n'est pas encore définitivement débloquée et d'ici septembre, y aura-t-il du nouveau qui pourrait satisfaire tout le monde dans l'intérêt de l'université. Nous l'espérons. (A suivre) Les auteurs : Enseignants à l'université de Boumerdès ------------------------------------------------------------------------ Notes : (1) Le Quotidien d'Oran les 30 mai et 1er et 2 juin 2006 et El Watan des 10, 11 et 12 juillet 2006. Deux rectificatifs sont à apporter dans l'historique : la première grève débuta le 16 novembre 1991 et non le 17 octobre et l'élargissement de la prime d'encadrement aux chargés de cours et maîtres-assistans a eu lieu après la troisième grève de 1996 et après celle de 1993. (2) El Watan du lundi 12 juin 2006. (3) El Khabar du 4 juin 2006. Saddek Khelifati, Sadek Khelifati