La grève sauvage des employés de la Société des chemins de fer (SNCFT), qui se poursuit depuis jeudi 14 mai, traduit le malaise régnant en Tunisie. Pourtant, le gouvernement a décrété, vendredi dernier, un ordre de réquisition à l'encontre de ces employés, les rendant passibles de poursuites pénales s'ils maintiennent cette grève non reconnue par la puissante centrale syndicale UGTT. «La poursuite de la grève, malgré la réquisition des employés et la non-reconnaissance du mouvement par l'UGTT, reflète les difficultés rencontrées par l'Etat à imposer son autorité», souligne le secrétaire général du parti Al Massar, Samir Taïeb. Le même flottement de l'Etat est observé au niveau du bassin minier de Gafsa, qui entame sa troisième semaine de fermeture globale de toutes les mines de phosphate et des usines d'acides phosphoriques de la région, qui constituent la principale richesse minière du pays. Le chef du gouvernement, Habib Essid, a effectivement annoncé, vendredi dernier, de nombreuses mesures sociales et économiques en faveur des localités du bassin minier pour palier au chômage, à la pauvreté et la marginalisation qui frappent cette région. Le problème, selon Samir Taïeb, c'est que des promesses ont été données par les trois gouvernements installés après Ben Ali (Jebali, Laârayedh, Jomaâ), sans être réalisées. «Certes, il est vrai que la nomination de Kamel Jendoubi à la tête d'une commission chargée de veiller à la réalisation de ces promesses pourrait leur donner plus de crédibilité», poursuit l'universitaire qui trouve néanmoins que «c'est le sentiment de désillusion qui s'est emparé de la population, qui explique de tels doutes par rapport aux gouvernants». Mais, il n'y a pas que la désillusion populaire, plusieurs corporations font de la surenchère, exploitant la faiblesse de l'Etat. Les augmentations salariales consenties aux enseignants du secondaire et à la Fonction publique vont obliger l'Etat à s'endetter davantage pour les honorer, selon le ministre des Finances, Slim Chaker. D'autres corporations comme les employés de la SNCFT, de la STEG ou de la santé ont également emprunté cette voie des grèves qui n'en finissent pas. Limites financières Cette situation ne se caractérise pas uniquement par le fait que l'Etat est incapable d'imposer sa loi, les conséquences s'étendent à l'image de la Tunisie sur la scène internationale. En effet, alors que Béji Caïd Essebsi multiplie les manœuvres pour obtenir des soutiens à la transition démocratique en Tunisie et il l'en a déjà obtenu auprès de la France et de l'Allemagne, en attendant les Etats-Unis que le président tunisien visitera cette semaine. La Tunisie mise également beaucoup sur son invitation au sommet de juin prochain du G7 en Allemagne. Mais si le lobbying de BCE est en train de marcher, les bailleurs de fonds ne placent leurs sous qu'une fois le pays stabilisé. Ce n'est pas parce que le laïc Béji Caïd Essebsi et l'islamiste Rached Ghannouchi sont parvenus à former un gouvernement doté d'une forte majorité au Parlement ou que la lutte contre le terrorisme a enregistré quelques coups d'éclat, que l'on peut dire que tout est rentré dans l'ordre. Loin de là, le pays est plongé dans la crise et a besoin d'assistance. Le Trésor de l'Etat nécessite plus de neuf milliards de dinars (4,2 milliards d'euros) pour boucler le budget en cours, alors qu'une instabilité chronique frappe le climat social, comme le laissent entendre les contestations populaires et les grèves. Ce n'est pas l'environnement recherché par les investisseurs pour leurs projets. Avec un tourisme qui bat de l'aile, surtout après l'opération terroriste du Bardo, le 18 mars dernier, la Tunisie a encore du chemin à parcourir.