Près de 250 experts se sont réunis, du 19 au 21 de ce mois, à Barcelone pour identifier les actions à mener pour renforcer la participation des femmes à la vie économique dans la région euro-méditerranéenne. Organisée par le Secrétariat de l'Union pour la Méditerranée, la conférence — qui intervient vingt ans après la conférence des Nations unies sur les femmes — a réuni des représentants de gouvernements et d'agences de financement, d'organisations internationales, de Parlements, d'organisations de la société civile et du secteur privé de toute la région euro-méditerranéenne Les participants se sont attachés à apporter des propositions pour ouvrir de nouvelles perspectives, à partager des expériences, des pratiques, à explorer de nouvelles opportunités pour développer l'autonomisation des femmes par une approche fondée sur une coopération régionale. Ils ont traité des principaux obstacles qui entravent la pleine participation économique des femmes et identifié des actions stratégiques et des programmes régionaux à même de favoriser l'autonomisation socioéconomique des femmes. Des secteurs innovants offrant de nouvelles opportunités pour les femmes ont été étudiés, comme l'économie sociale et solidaire, l'économie verte, les TIC et le rôle des médias. Comment améliorer la participation des femmes à la vie économique ? A quoi sert l'éducation si elle n'aboutit pas à l'emploi ? Créer des postes de travail n'est pas suffisant si les femmes sont harcelées. Si elles subissent des discriminations sociales et familiales. Le diplôme n'est pas une finalité, il faut de l'égalité. Autant de questionnements, autant de sujets débattus. Et comme l'a souligné la ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfance de Tunisie, Mme Samira Merai Friaa, qui a ouvert les travaux de la conférence, «une société ne peut pas se développer si elle n'agit pas de façon égalitaire dans la répartition des ressources». «Dans l'égalité, il y a le défi de la croissance et de la paix. Il faut accélérer la culture du changement. Faire des projets des politiques publiques, changer d'échelle. Croiser la logique du développement et celle des droits», a relevé pour sa part Nicole Ameline, présidente de la commission de la condition de la femme et députée à l'Assemblée nationale française, qui a appelé à «fédérer les acteurs, les cadres généraux d'action». L'instabilité politique, un frein L'un des obstacles à l'autonomisation économique des femmes est l'instabilité politique, a relevé Inas Mekkawy, chef du Département des femmes, de la famille et de l'enfance à la Ligue des Etats arabes. «Pour les femmes de la région arabe, les conflits armés sont une des raisons pour lesquelles l'autonomisation des femmes n'est pas possible, des milliers de femmes sont déplacées». Et aussi «nous, dans les pays arabes, nous ne sommes pas exportateurs de terrorisme. Ce que nous vivons dans le sud de la Méditerranée est transitoire. Il faut de la sécurité et de la stabilité». Le président du Centre jordanien du Développement de l'entreprise, Nayef Stetieh, a regretté que le renforcement de l'insertion des femmes à l'économique et l'instabilité politique n'aient pas fait l'objet de débat. Ainsi, il a été rappelé que la Jordanie accueille 1 500 000 réfugiés dont la moitié sont des femmes qui, avec leurs enfants vivent dans des conditions extrêmement pénibles. «En Syrie, en Libye en Irak, la priorité est la sécurité», dira aussi Serena Romano, présidente de l'association italienne Corrente Rosa et membre du Conseil des gouverneurs de la Fondation des femmes de l'EuroMéditerranée. Et sur un autre registre de rappeler qu'«il ne faut pas oublier l'autonomie dans la famille. A quoi sert d'être autonome financièrement si on ne peut choisir son mari ?» 18% seulement des adultes ont un compte en banque Carlos Conde, chef de la division Moyen-Orient de l'OCDE, dira pour sa part que «l'égalité est un ingrédient fondamental pour la croissance économique» et qu'il faut «un continuum des politiques publiques nationales pour une meilleure intégration économique des femmes». Sur le rôle des banques et des donateurs, Jose Luis Vinuesa-Santamaria, représentant la Commission européenne, indique que 106 millions d'euros ont été dédiés en 2007 à des projets spécifiques pour l'égalité des genres par la Commission européenne, et 311 millions d'euros en 2012. En 2014, ces fonds ont baissé à cause, entre autres, de la crise financière. Interpellé sur les fonds octroyés aux associations qui militent pour les droits des femmes dont les actions sont peu soutenues financièrement (4% pour les associations en Europe par la Commission européenne), il reconnaîtra qu'on n'a pas une bonne analyse des objectifs et des projets. Mourad Ezzine, directeur du centre pour l'intégration en Méditerranée de la Banque mondiale, constate que dans la région MENA la couverture bancaire est l'une des plus faibles au monde. 18% des adultes ont un compte en banque, contre 46% dans le reste du monde. Valeria Della Rosa, représentant la Banque européenne de reconstruction et de développement l'exis (BERD), note que beaucoup de banques nourrissent des préjugés à l'égard des femmes, les considérant comme «des clientes à haut risque, ce qui est faux». La BERD travaille avec 40 banques et 16 pays. Faire évoluer les modèles de développement La Secrétaire générale adjointe pour les affaires sociales et civiles de l'UpM, Delphine Borione, dans une synthèse des travaux de la conférence, relève que la croissance économique ne s'est pas traduite par un travail décent, ni par une inclusion des femmes, d'où la nécessité de faire évoluer les modèles de développement pour accroître la participation des femmes à l'activité économique ; la nécessité d'appliquer les conventions internationales sur les droits humains ; la nécessité d'avoir une vision intégrée des femmes dans un cadre normatif ; le besoin d'institutions nationales d'action ; le besoin de plus de données chiffrées ; le besoin d'agir avec les hommes. Des recommandations plus spécifiques comme la place et la prise en compte de la maternité dans le lieu de travail, le congé de paternité ; la formation à l'esprit d'entreprise ; des politiques multisectorielles ont été formulées. «Les femmes sont la moitié de l'humanité, la parité c'est cela», a indiqué Elisabeth Guigou, présidente de la fondation Anna Lindt pour le dialogue entre les cultures. «Il faut que les femmes soient à égalité avec les hommes». «Mon expérience m'a montré qu'il ne faut pas se contenter d'avoir quelques femmes alibi dans certains secteurs, c'est un piège pour ne pas agir.» «Il faut que les femmes qui ont la chance d'avoir des responsabilités s'occupent de la promotion des autres femmes.» Et «si on veut que les femmes jouent un rôle accru dans la vie professionnelle et sociale, il faut leur libérer du temps». Et d'ajouter : «Il ne suffit pas de faire du temps, il faut que la société se mobilise». «Le plus important est de faire tomber les barrières mentales pour libérer les énergies».