Trente-cinq millions d'électeurs, pour 46,5 millions d'habitants, se sont rendus aux urnes, dimanche, pour des élections régionales et municipales sur fond de corruption et de crise. Ils ont renouvelé 13 des 17 Parlements régionaux, dans un pays où les pouvoirs des régions sont très importants, en particulier en matière d'éducation et de santé. Les électeurs ont aussi choisi 8122 maires, à commencer par ceux de Madrid, Barcelone et Valence, les trois plus grandes villes, dirigées par le Parti populaire (Madrid et Valence) ou des nationalistes conservateurs (Barcelone). Le taux de participation à ce scrutin a été de 64,93%, soit 22 746 489 votants. Le nombre de voix en faveur du parti populaire de Mariano Rajoy a été de 6 057 767, soit 27,05% des suffrages exprimés, il perd 10 points par rapport aux élections de 2011.Cette chute permet au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE, centre gauche), de Pedro Sánchez, de remporter la victoire dans plusieurs régions et de nombreuses municipalités, malgré une nouvelle baisse de près de 3 points et à peine 25, 02% des voix, soit 5 603 823 de votants. La fin du bipartisme ? Ces élections ont par ailleurs provoqué un séisme politique. La percée inédite du nouveau parti Podemos, né en janvier 2014 et issu du mouvement des Indignés, a globalement confirmé sa troisième place. Les résultats lui ouvrent les portes de Barcelone et de Madrid, la capitale. La fin des partis traditionnels ? Les Espagnols ont en tout cas exprimé leur désir de changer la politique lors d'élections régionales et municipales, après des années de débats enflammés ayant fait justement émerger deux nouveaux partis. Ces élections représentent un sérieux revers pour le bipartisme en place depuis plus de 30 ans, qui articule les institutions espagnoles depuis la transition démocratique (1975-1982). Si le PP arrive en tête, juste devant le PSOE, il réalise son pire score depuis 1991 et est en passe de perdre la majorité absolue dans la plupart de ses régions. Selon les calculs, le PP a perdu 2,55 millions de votes par rapport aux précédentes élections en 2011. Après presque six ans de crise, l'Espagne a commencé à les délaisser pour l'antilibéral Podemos, allié du parti grec Syriza ou Ciudadanos, de centre droite, deux formations fondées par des trentenaires, le professeur de sciences politiques Pablo Iglesias et l'avocat Albert Rivera. Nouvelle ère à Madrid et Barcelone A Madrid, où la droite gouverne depuis 1991 sans partage, berceau du mouvement des Indignés, la liste du Parti populaire, bien qu'arrivée en tête, n'a obtienu que 21 conseillers. La liste Ahora Madrid, emmené par l'ex-juge Manuela Carmena, avec Podemos, disposera de 20 sièges. Le PS est troisième avec neuf conseillers. Si le Parti socialiste la soutient, ce qui fait peu de doute, Manuela Carmena deviendra maire de la capitale espagnole. Un changement historique A Barcelone, deuxième ville d'Espagne, une autre alliance de gauche, dirigée par Ada Colau, fondatrice de la plateforme de victimes d'hypothèques qui milite contre les expulsions immobilières, soutenue là aussi par Podemos, l'a remporté face aux partisans de l'indépendance de la Catalogne, un coup dur pour le mouvement séparatiste. Sa liste obtient onze sièges, contre dix pour les nationalistes conservateurs de CIU, cinq pour le nouveau parti Ciudadanos (centre droit) et quatre pour le Parti socialiste catalan (PSE). «La citoyenneté a gagné, l'espoir a gagné, le désir de changement a vaincu la campagne de la peur, de la résignation, et avec ça c'est nous tous qui gagnons, surtout Barcelone», a déclaré Ada Colau. Ces élections interviennent après une crise économique ayant laissé des traumatismes profonds dans la société espagnole qui n'ont pas encore pu être soignés par la reprise amorcée en 2014 (+1,4%). Des milliers de jeunes ont émigré pour fuir le chômage touchant la moitié d'entre eux et encore 23,7% de la population active. Le tout dans un climat délétère alimenté par d'innombrables affaires de corruption en pleine cure d'austérité. D'où les difficultés du PP de convaincre du risque posé par les «expérimentations» des nouveaux partis comme Ciudadanos, accusé d'être prêt à s'allier au PSOE, ou Podemos, traité de formation «bolchévique» qui détruira les «libertés». «Sortez dans la rue, sortez du jet privé, sortez de votre quartier de luxe et regardez la réalité de ce pays, Mariano Rajoy», a harangué Pablo Iglesias lors de son dernier meeting, vendredi, sous le ciel bleu de Madrid, promettant de défendre les droits à un logement, à la santé, à l'éducation et à la lutte contre la corruption. «Cette campagne pour un changement politique est historique», a dit Albert Rivera, qui promet un véritable changement.