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Les Algériennes de plus en plus nombreuses dans le commerce informe
Parce qu'il leur permet de s'émanciper
Publié dans El Watan le 01 - 06 - 2015

Moins exposées aux pesanteurs sociales, les émigrées algériennes réaliseront davantage de prouesses en matière de négoce informel en entretenant de juteux courants d'affaires avec des parentes et amies du bled.
Les émigrées disposant d'une boutique qu'elles approvisionnent à partir du pays d'accueil (notamment la France) sont en effet légion et la tendance semble s'inscrire dans la durée. Mais, le commerce informel pratiqué par les femmes entre les deux rives de la Méditerranée n'est en réalité pas nouveau, puisque depuis longtemps déjà (fin des années 1960) les algériennes émigrées ou, seulement en voyage dans les pays d'Europe, ont eu tendance à mettre à profit leurs vacances dans leur pays d'origine pour y vendre notamment des produits faisant l'objet de pénuries.
Bon nombre d'entre elles en avaient même fait une activité lucrative régulière génératrice de substantielles recettes qui seront généralement investies dans l'achat de parcelles de terrain et l'autoconstruction.
Ces pratiques marchandes informelles prendront une tout autre tournure au début des années 1990 avec, notamment, la fermeture de plus d'un millier d'entreprises publiques ayant entraîné la mise en chômage de plus de 500 000 salariés.
Privées des ressources que leur procuraient leurs maris désormais au chômage, de nombreuses femmes seront contraintes d'aider, voire même se substituer à leurs époux pour subvenir aux besoins du ménage. Le marché du travail étant saturé, c'est vers la pratique du commerce informel qui n'exige aucune formalité qu'elles s'orienteront quasi naturellement. L'argent ainsi gagné servira à faire vivre la famille et, dans de nombreux cas, à améliorer sensiblement son train de vie.
C'est dire l'importance du rôle de stabilisateur de budgets familiaux qu'ont joué de nombreuses Algériennes durant cette période de récession qui avait laminé le pouvoir d'achat des ouvriers et des classes moyennes. La contribution de ces admirables femmes a, dans bien des cas, empêché des familles de sombrer dans l'extrême pauvreté.
L'informel a permis à de nombreuses femmes de s'émanciper
Si elle est déjà fortement impulsée en termes de circulation commerciale (les femmes se déplaçant à l'étranger pour effectuer des achats destinés à la vente étant de plus en plus nombreuses), la dynamique de conquête de l'espace public (ouverture de boutiques, création d'ateliers de confection et autres) témoigne d'une entrée de plus en plus massive des Algériennes dans des activités commerciales, voire même industrielles. La mixité dans les espaces commerciaux urbains a, de ce fait, pris beaucoup d'ampleur au cours de ces vingt dernières années. L'association des Femmes entrepreneures (SEVE) avait déjà recensé, au milieu des années 2000, pas moins de 1200 sociétés (EURL et SARL) détenues par des Algériennes.
Les services du Registre de Commerce en comptabilisaient pas moins de 4451 à la fin de l'année 2010. C'est dire la prodigieuse progression numérique de l'entrepreneuriat féminin si on ne tient compte que de la création de sociétés légalement constituées, celles qui ne le sont pas étant, à l'évidence, beaucoup plus nombreuses. Selon nos estimations, ces dernières pourraient allègrement dépasser une trentaine de milliers, si évidemment on y incorpore les activités artisanales à domicile. Avec le temps, cette offensive économique et commerciale des femmes aujourd'hui essentiellement concentrée dans les villes a de bonnes chances de prospérer et de gagner le monde rural d'où elle est, pour l'instant, exclue pour des raisons culturelles.
On peut d'ores et déjà constater que les Algériennes se déplacent de plus en plus loin pour faire du business. Pour approvisionner leur commerce, mais également pour vendre des produits, les commerçantes algériennes sont en effet de plus en plus nombreuses à fréquenter des places marchandes, notamment dans les pays de la rive sud de la Méditerranée, certaines poussant même leurs déambulations commerciales jusqu'en Asie.
Les espaces de vente tenus par nos femmes auraient également connu une mutation significative, marqués par un glissement de l'espace privé (domicile) vers l'espace public (ouverture de boutiques et de sociétés commerciales informelles ou légalement constituées). L'entrepreneuriat privé algérien est, de ce fait, de plus en plus mixte.
Dans le sillage des pionnières des premières années d'ouverture économique qui ont apporté la preuve que les femmes pouvaient émerger socialement et financièrement au moyen du commerce informel, les algériennes n'hésitent plus à investir ce créneau, notamment quand les conditions d'insertion sociale leur sont refusées (chômage, revenus salariaux insuffisants, mal logées, etc.).
Convaincues que la réussite est au bout de l'effort, elles ne se contentent plus de revendre des marchandises achetées en Algérie, prenant le risque d'aller chercher elles-mêmes les produits sur les marchés étrangers offrant le meilleur rapport qualité-prix et l'assurance de réaliser des marges bénéficiaires les plus larges possibles. On constate, par ailleurs, que les femmes ne se cantonnent plus, comme aux toutes premières années de l'ouverture économique, aux ventes effectuées dans leurs domiciles.
Elles sont de plus en plus nombreuses à aider leurs maris à revendre les produits rapportés de l'étranger en leur prêtant main forte ou en les remplaçant aux commandes de la boutique familiale lorsque ce dernier est absent. Les femmes sont, de ce fait, de plus en plus visibles dans les espaces commerciaux, notamment dans les grandes villes.
Mais cette implication croissante des femmes dans les activités marchandes implique de leur part de plus en plus de mobilité. Les absences fréquentes et souvent prolongées de leurs foyers auxquels elles se consacraient quasi exclusivement avant que les activités marchandes n'accaparent l'essentiel de leur temps, vont brutalement remodeler leurs rapports avec leurs familles et la société en général.
Les commerçantes algériennes à l'épreuv de l'archaïsme patriarcal
Si de nombreux maris s'accommodent avec les activités commerciales de leurs épouses, d'autres ont, par contre, du mal à s'adapter au nouveau mode de vie au foyer, notamment lorsqu'il s'agit d'accepter que leurs femmes séjournent souvent et longtemps à l'étranger pour effectuer des achats. Même si les cadeaux ramenés de l'étranger ont pu amadouer certains d'entre eux, de nombreux divorces en auraient malheureusement résulté.
Le métier de commerçant est effectivement très prenant, car en matière de négoce, les femmes comme les hommes doivent développer des compétences relationnelles particulières, élargir leurs contacts bien au-delà des sphères domestiques, familiales ou de voisinage. Pour faire prospérer leurs affaires, elles doivent souvent entretenir et cultiver des réseaux de connaissances qui dépassent le cadre géographique dans lequel elles furent longtemps cantonnées.
Connaissant la mentalité machiste ambiante qui prévaut dans notre pays, il faut assurément une très forte dose de courage et de détermination à réussir pour s'affranchir des archaïsmes et autres pesanteurs sociales qui rendent leur émancipation malaisée.
En effet, si la liberté de circuler est à l'évidence plus aisée pour les femmes célibataires qui peuvent justifier leurs activités «peu féminines» par la nécessité de subvenir aux besoins de leurs familles, elle l'est beaucoup moins pour les femmes mariées qui doivent faire face aux suspicions et aux diktats de leurs époux. Nombreuses sont les commerçantes qui, une fois mariées, ont dû se résoudre à arrêter leur activité pour préserver leur mariage et la stabilité de la famille. Ce sont autant de femmes qui ratent ainsi la chance de lancer un jour leur propre affaire, comme elles l'avaient souhaité lorsqu'elles s'étaient lancées dans le commerce.
La réussite entrepreneuriale au bout de l'épreuve
Mais avec ou sans le soutien de leurs familles, de nombreuses Algériennes ont réussi à monter des affaires qui tournent si bien qu'elles ont changé positivement le cours de leur vie. Les bénéfices engrangés leur ont, selon les cas, permis de créer des entreprises légales ou, tout simplement, d'améliorer leur standing de vie en acquérant un logement de qualité, une voiture de luxe et autres emblèmes de réussite sociale (bijoux, vêtements) qu'elles avaient longtemps convoités.
Certaines femmes bafouées par leurs époux, leurs familles et la société en général en pu ainsi trouver dans le commerce informel l'occasion de prendre leur revanche sur une vie qui ne leur avait jamais fait de cadeau en montant, notamment, de prospères affaires qui consacrent leur autonomie financière et leur confère davantage de liberté de mouvement dans une société traditionnellement réservée aux hommes.

Pour légitimer leur intrusion dans les milieux des affaires traditionnellement réservés aux hommes, elles feront valoir les conduites exemplaires de certaines épouses du Prophète qui furent des commerçantes vertueuses et emblématiques pour la communauté musulmane tout entière.
Elles feront également largement usage du principe de la séparation des biens consacré par le Coran et la Charia pour légitimer le droit des femmes d'être propriétaires attitrées de biens matériels, parmi lesquels des capitaux et autres actifs sociaux. Autant d'arguments qui font merveilleusement recette dans une société profondément sensible et à l'écoute des argumentaires religieux.
Admirées pour leur réussite, bon nombre de jeunes Algériennes n'hésitent plus à suivre le chemin de leurs aînées en tentant elles aussi leur chance dans ce type de business, en commençant par le «commerce de la valise», peu risqué et requérant peu de capitaux. Il constituera pour bon nombre d'entre elles le point de départ d'une «success story» qui changera positivement le cours de leur vie en les propulsant, à terme, au rang de respectables cheftaines d'entreprises.
On a pu le constater à l'occasion de nos déplacements en Turquie, en France et dans certains pays arabes, les Algériennes en «voyage d'affaires» constituent une part non négligeable des passagers empruntant les lignes aériennes concernées. Même si, précisent nos sociologues, certaines ne jouent que le rôle de simples «mulets» assurant seulement le transport pour le compte de revendeurs ou de gros importateurs informels installés en Algérie, il est bien évident que toutes ces «trabendistes» y trouvent leur compte en engrangeant des revenus non négligeables qui les aideront, selon les cas, à améliorer l'ordinaire de leurs familles et, parfois même à lancer leur propre affaire.
Et même si le modèle patriarcal qui prévaut aujourd'hui encore en Algérie continue à sévir à l'encontre des femmes sujettes à un contrôle social coercitif, le commerce informel continuera longtemps encore à exercer sur elles une certaine fascination, car il constitue l'espoir de toute une frange de la population féminine à laquelle les portes du travail légal et de l'émancipation sociale lui sont fermées.


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