La toute nouvelle restructuration du secteur public économique est-elle en mesure de favoriser l'émergence de dirigeants qualifiés ayant les coudées franches pour réaliser, en toute autonomie, des objectifs managériaux ? Les sciences économiques n'ayant, à notre connaissance, pas encore produit de techniques éprouvées permettant de gérer les entreprises publiques économiques exactement comme on gère les sociétés privées, c'est, à l'évidence, par la négative qu'on répondra à la question. Entre une société privée dont la survie est tributaire de ses seuls résultats comptables et une entreprise publique économique dont l'Etat, propriétaire exclusif des capitaux, peut décider de poursuivre l'activité en dépit de la situation de faillite où elle se trouve, la perception de la gestion n'est, à l'évidence, pas la même selon que l'on soit patron d'une entreprise privée, ou seulement cadre dirigeant d'une entreprise étatique. C'est cette question fondamentale de la séparation entre le droit de propriété et les prérogatives de gestion, qu'a omis ou, expressément refusé de régler, le gouvernement qui a décidé, à l'occasion d'un nouveau redéploiement, de remettre les entreprises publiques économiques sous tutelle de leurs ministères respectifs. C'est une dangereuse régression qui a ainsi été opérée après un long processus entamé au début des années 90' visant à soustraire les entreprises publiques des ombrageux pouvoirs des hommes politiques qui leur avaient causé tant de torts. Même si on a tenté de sauver les apparences d'autonomie en maintenant les conseils d'administration et les commissaires aux comptes imposés par le Code du Commerce, la perte d'autonomie dans l'élaboration des stratégies d'entreprises, voire même leurs gestions courantes est désormais consommée. Le pilotage des entreprises publiques économiques par les hommes politiques et les administrations, comme au temps de l'Algérie socialiste avec, de surcroît, des objectifs partisans. La presse a, à titre d'exemple, rapporté comment un ministre d'obédience islamiste s'est précipité dès l'adoption de la nouvelle restructuration à placer des hommes de son parti à la tête des entreprises de son secteur. Les pressions exercées par certains cadres de ministères pour recruter ou accorder des promotions à des proches sont également signalées au point où les sureffectifs commencent à miner dangereusement les résultats déjà fort médiocres de certaines entreprises publiques. Il est évidemment très difficile pour un directeur général d'EPE qui ne dispose pas du droit de propriété sur l'entreprise qu'il dirige et qui, de surcroît, se trouve à cette place par la seule volonté d'une personne au pouvoir, de refuser d'appliquer des injonctions quand bien même ces dernières pénaliseraient lourdement la gestion. Le maintien de l'artifice juridique que le mode de gestion des EPE est assimilable à celui des sociétés privées ne saurait nous faire oublier que, contrairement aux entreprises appartenant à des individus dans lesquels seuls des détenteurs de capitaux peuvent occuper les postes stratégiques, dans les EPE les cadres dirigeants sont de simples salariés, tandis que les administrateurs, rémunérés aux jetons de présence, sont astreints au rôle passif d'observateurs. La désignation de gestionnaires et administrateurs compétents aurait pu atténuer quelque peu l'effet anesthésiant de ce système de gestion qui n'embraye pas du tout avec la réalité. Mais pour ce faire, il aurait fallu mettre en place un système de rémunération plus motivant et étroitement lié aux performances de l'entreprise pour ce qui concerne les gestionnaires. S'agissant des administrateurs qui ont un rôle fondamental à jouer en matière de stratégie et de contrôle d'entreprises, l'action à mener en priorité consiste à les doter réellement des prérogatives que leur accorde le code du commerce, mais que le pouvoir leur a sournoisement retirés. Il s'agit aussi de favoriser, au moyen d'une rémunération motivante et d'un statut social approprié, l'émergence du métier d'administrateur d'entreprise qui aidera les EPE à être mieux gérées et contrôlées. Ce sont toutes ces lacunes qui, en grande partie, expliquent le dilettantisme et la fuite de responsabilité qui caractérisent la gestion du secteur public économique. La pénalisation de l'acte de gestion auquel le gouvernement n'a pas mis fin, malgré toutes les déclarations d'intention, exacerbe encore davantage l'immobilisme ambiant qui prévaut dans les entreprises étatiques, où les ordres et contre-ordres peuvent parvenir de toutes parts (ministres, walis, fonctionnaires, officiers, pouvoirs occultes, etc.) En cas de mauvais résultats, il n'est d'ailleurs pas aisé d'établir la responsabilité des dirigeants d'entreprises publiques, tant les carences constatées résultent bien souvent d'ingérences politico-administratives difficiles à identifier. Le retour au dirigisme étatique que l'on vient d'opérer dans le cadre de la nouvelle restructuration du secteur public économique ne fera, malheureusement, qu'aggraver cette tendance. La gestion des EPE qui ne s'encombre plus de l'obligation de résultats, continuera de ce fait à être défaillante, de même que les malversations seront tolérées, notamment lorsqu'elles sont commises par des chefs d'entreprise désignés selon des critères subjectifs et clientélistes. Le gouvernement, comme à son habitude, n'hésitera évidemment pas à voler au secours de ces entreprises mal gérées car il a bien conscience d'avoir une part de responsabilité dans leurs mauvais résultats. Elles seront renflouées périodiquement par de ruineuses mesures d'assainissement financier qui ont déjà englouti pas moins de 1500 milliards de dinars de 1990 à ce jour. L'objectif du pouvoir étant de préserver, coûte que coûte, le secteur public économique qui lui permet d'amoindrir artificiellement les chiffres du chômage et de faire face à d'éventuelles calamités naturelles (les EPE peuvent immédiatement et à tout moment être mobilisées par les pouvoirs publics), il est clair que le secteur des capitaux publics marchands a encore de belles années devant lui. A charge pour l'Etat d'en payer le prix.