A priori, elle ressemble à toutes les Coréennes du Sud. Mais le sourire de Park Young-ae est visiblement forcé. Son corps porte encore les stigmates de tortures et de blessures morales que sa nouvelle vie à Séoul a du mal à cicatriser. Le débit de ses paroles prend parfois l'allure d'un sanglot. Cette belle jeune femme a envie de cracher au monde sa douleur muette. Le régime nord-coréen lui a volé son corps, ses émotions et sa famille. Il ne lui reste que la voix pour dire l'indicible et raconter l'innommable qu'elle enduré dans ce qu'elle appelle la «plus grande prison du monde». Contrairement à son jeune compatriote, elle a décidé de témoigner à visage découvert pour mettre à nu, devant les journalistes du monde, le régime horrible de Kim Jong-un. En racontant sa terrible histoire personnelle, elle lève un coin du voile sur le sort de milliers, voire de millions de Nord-Coréens qui croupissent dans les geôles du régime communiste. Originaire de Corée du Sud, son père, soldat, fut capturé par l'armée de Kim II-sung lors de la guerre de 1950. C'est là que commence le cauchemar de Park Young-ae qui a eu la malchance de naître de l'autre côté de la frontière. «A l'âge de 17 ans, j'ai perdu mon père suite à un AVC dans le camp de détention, où nous étions parqués. Nous n'avions même pas le droit à la lumière. Comme mon frère et mes quatre sœurs, j'ai travaillé dans la mine avant de rejoindre un centre de formation, ou plutôt d'endoctrinement. A 19 ans, j'ai quitté le centre et vendu des petites marchandises dans la rue pour gagner ma vie. Mais des agents du régime m'ont fourgué de faux dollars pour justifier mon arrestation. On m'a alors emmenée dans une prison sombre, où j'ai subi les pires supplices. C'était insupportable… (elle étouffe un sanglot qui lui noue la gorge). J'ai passé une année dans cette prison sans pouvoir lever la tête, de peur d'être frappée par les gardes sans pitié. J‘ai vu des prisonniers manger des rats et toutes sortes d'insectes. On avait rien à se mettre sous la dent. J'avoue avoir mangé du… caca. A ma sortie de prison, j'ai rencontré des passeurs chinois qui m'ont proposé de m'emmener par train. Malheureusement pour moi, on a été arrétés et renvoyés au cachot. Mais là-bas c'était pire. Chaque jour, 20 à 30 prisonniers mouraient de famine, de maladie infectieuses ou sous la torture. Les femmes enceintes devaient obligatoirement avorter et les foetus tués par asphyxie pour permettre à leur ex-future maman de travailler… J'ai pu quitter la Corée du Nord le 16 avril 2000 à l'occasion de l'anniversaire de Kim Jong-iI, qui a libéré 2000 femmes. En fait, libéré c'est un peu un grand mot. J'ai été vendue à un Chinois nain et handicapé que j'ai dû épouser malgré moi. Au bout de quelques mois, j'ai quitté la maison et épousé un autre Chinois polygame, mais au moins valide. Enceinte de neuf mois, j'ai dû avorter parce que mon 3e mari ne voulait pas de l'enfant. Après dix ans de mariage, j'ai eu un garçon et une fille et j'ai dû tout abandonner pour rentrer ici en Corée du Sud en 2006. Du point de vue confort, je vais aujourd'hui nettement mieux. Beaucoup de mes compatriotes nord-coréens voudraient venir ici, au Sud, et fuir le régime inhumain de Pyongyoung. Mais au départ, c'était quand même difficile avec une modique allocation du gouvernement et un petit salaire dans un restaurant. Nous, les Nord-Coréens, sommes un peu victimes de discrimination ici. Mais je ne me plains pas aujourd'hui, puisque j'ai même pu faire des études à l'université. En plus, je me suis remariée pour la quatrième fois, j'ai un enfant et j'en attend un deuxième. Pour autant, j'éprouve une grande tristesse d'avoir laissé en Chine un garçon de 10 ans et une fille de 11 ans que je ne reverrai peut-être jamais. Je n'avais hélas pas le choix, moi qui ait subi les pires tortures, les pires viols et les pires violences. Que je sois là, devant vous, est déjà pour moi un miracle quand je repense aux insoutenables épreuves que j'ai dû endurer pendant des années.