Une vingtaine d'avocats se sont succédé, hier, devant le tribunal criminel de Blida, pour plaider la relaxe de leurs mandants, poursuivis pour les délits de «corruption», «abus de confiance», «perception d'indus cadeaux». Certains d'entre eux n'ont pas hésité à relever que des personnalités ont été citées comme témoins dans l'affaire, alors qu'elles avaient reconnu avoir bénéficié de crédits sans trace de remboursement et pris des véhicules mis à leur nom. Maître Tayeb Bentaouine, avocat des deux commissaires aux comptes d'El Khalifa Bank, Hamid Sekhara et Lakhdar Mimi, contre lesquels le procureur général a requis 5 ans de prison, se déclare étonné des demandes du procureur général, parce que, selon lui, il n'y a aucune preuve sur les faits reprochés à ses deux clients. L'avocat est formel : la chute d'El Khalifa Bank a commencé vers fin 2002, période où les deux accusés étaient déjà partis. «Les deux commissaires avaient refusé de renouveler leur mandat à la banque en raison du constat d'anarchie qu'ils avaient mis en relief dans leurs rapports», déclare Me Boutaouine, précisant qu'en 2000, lorsque les deux accusés avaient «tiré la sonnette d'alarme», personne n'osait parler d'El Khalifa Bank, «y compris au sein de la Banque d'Algérie. En 2000, Abdelmoumen Khalifa était M. Khalifa. Personne n'osait parler de lui, ni de la gestion de sa banque». L'avocat précise qu'à ce jour, tout au long du débat de ce procès, «personne n'a évoqué de faits délictuels», mais de «irrégularités liées aux régles prudentielles», qui relèvent de la commission bancaire, et non pas du code du commerce. Me Bentaouine lit le rapport de l'inspection générale de la Banque d'Algerie daté du 28 juin 2000, qui reprend les écrits des deux commissaires aux comptes, faisant état «d'importantes anomalies dans la balance de l'exercice de 1999 de la banque et ils émettent des réserves suspensifs. Cela veut dire quoi ? Tout simplement que la banque ne peut plus bouger, jusqu'à ce qu'elle régularise ces défaillances. Ils ont mis en exergue le taux assez élevé des crédits octroyés et du non-respect de solvabilité. Si la Banque d'Algérie avait pris les mesures nécessaires en cette période, la catastrophe aurait été évitée». L'avocat relève même que les commissaires aux comptes «avaient alerté sur cette gestion avec les instructions, les ordres et les notes, mais la Banque d'Algérie n'avait rien fait» et conclut : «Pourquoi Sekhara et Mimi sont-ils donc ici parmi les accusés ?» Il rappelle même que ses clients avaient évalué le déficit de la banque Khalifa, déjà en juin 2000, à 387 millions de dinars, en raison des fameuses EES (écritures entre sièges) non régularisées. Ils ont bien affirmé, ici, que les anomalies étaient nombreuses, mais elles concernaient les règles prudentielles et non pas le code du commerce. Il tient à préciser : «Moncef Badsi, le liquidateur, a bien rendu hommage à leur travail.Alors de grâce, rendez-leur justice!» Me Bahia Kitouni, avocate de Jean-Bernard Viallar, de AntineaArlines, et Chafik Bourkaib, ex-directeur général de la même compagnie, après son rachat par Abdelmoumen Khalifa, contre lesquels le procureur général a requis l'application de la loi. Les deux cadres sont poursuivis pour abus de confiance, juste parce qu'ils n'avaient pas restitué les micro-ordinateurs mis à leur disposition dans le cadre de leur travail. Leur avocate est formelle : «Les deux mis en cause étaient de bonne foi. Ils avaient gardé ces PC dans un souci de préserver ce qu'ils contenaient comme données sur l'entreprise et de les protéger de toute dégradation, en attendant que la situation d'El Khalifa Bank soit plus claire.» Pour ce qui est de Bourkaib, elle affime que ce dernier a continué à travailler avec le liquidateur en utilisant le même PC, et à aucun moment M. Badsi ne le lui a réclamé jusqu'à ce que les gendarmes viennent le demander. L'avocat rappelle une jurisprudence de la Cour suprême «qui dicte clairement que le fait de ne pas restituer un objet remis dans le cadre du travail ne constitue pas un délit d'abus de confiance» et plaide à la fin l'innocence de ses deux clients. Bouguerra Soltani et Tayeb Belaïz informés du parainage des micro-crédits par Khalifa Me Zoubir Chaouch, avocat de Madjid Bouamar, directeur financier de l' Entreprise nationale de navigation aérienne (ENNA), contre lequel le parquet a requis 2 ans de prison ferme, commence sa plaidoirie en demandant à l'assistance d'«observer une minute de silence à la mémoire du droit à la présemption d'innocence», en faisant allusion aux demandes du représentant du ministère public. Il explique : «Dans ce dossier, il n'y a aucune preuve que Bouamar ait touché une quelconque corruption ou pratiqué du trafic d'influence, tout simplement parce que les placements à Khalifa Bank et les conventions signées avec Airways ont été paraphés par le directeur général, Aït Si Ali, qui lui a été entendu en tant que témoin et a confirmé que c'est bien lui qui a signé toutes les conventions. De plus, Bouamar n'a jamais voyagé avec Khalifa Airways, le voyage en Afrique du Sud a été effectué bien avant que la compagnie Airways soit créée.» Pour toutes ces raisons, l'avocat réclame la relaxe. Me Dali Chaouche, avocat de Lhadi Sbiri, employé à KRG Pharma, conteste le qualificatif de groupe Khalifa, parce que «le code de commerce ne l'a pas prévu, y compris pour les filiales qui, à en croire le liquidateur, ne reposent sur rien. Ce sont des entités autonomes». A ce titre, il affirme que son mandant, un pharmacien, n'a «rien à voir avec Khalifa. Il a gardé la voiture avec l'intention de la restituer. Lors de leur mise de fin de fonction, le solde tout compte n'a pas été effectué. Durant 36 mois, il n'avait pas perçu son salaire. La liquidation a été décidée sans prendre en compte la situation dramatique de ses employés. La société Pharma Production appartient à la famille Khalifa (Abdelmoumen, sa belle-mère et son oncle). La voiture est au nom de la société, comment peut-il la remettre à El Khalifa Bank (…) De plus, même KRG Pharma lui a remis cette voiture sans aucun document. Il aurait pu en faire ce qu'il veut, puisqu'il n'y avait aucune preuve en sa possession.» L'avocat précise qu'il y a dans cette affaire une trentaine de personnes poursuivies pour abus de confiance, et le procureur général a requis contre la majorité d'entre eux 18 mois de prison, sauf pour deux pour lesquels il a demandé l'application de la loi. «Pourquoi n'a-t-il pas requis l'application de la loi pour tout le monde puisqu'ils sont tous dans le même cas ?» Me Hakim Hadj-Ali, avocat de Benyoucef Miloudi, directeur général de l'OPGI de Aïn Témouchent, poursuivi pour corruption et trafic d'influence, contre lequel le procureur général a requis 3 ans de prison ferme, conteste fermement que cet ancien responsable ait perçu cette commission dont a parlé le directeur de l'agence Khalifa d'Oran, Hakim Guers. «Dans les documents trouvés à l'agence, il y a des sommes destinées, selon Guers, aux responsables des sociétés publiques en contrepartie des placements. Qu'est-ce qui prouve que Miloudi a perçu cette commission ? Rien, absolument rien et Guers lui-même, lorsqu'il a été interrogé par le trbunal, était incapable de donner la destination de cet argent.» Abondant dans le même sens, Me Aït Ahmed, avocat de Mouloud Mohamed Meziani, directeur par intérim de l'Agence du développement social (ADS), contre lequel le procureur a requis 3 ans de prison ferme, affirme que l'agence n'avait pas effectué de placement. «Elle a ouvert des comptes courants au niveau d'El Khalifa Bank, sur la base d'une lettre signée par le ministre du Travail et des Affaires sociales d'alors, Bouguerra Soltani, qui a encouragé l'agence à ouvrir des comptes courants et d'exploitation ‘au niveau des banques qui offrent les meilleures conditions. El Khalifa Bank était la seule qui a répondu à nos demandes'.» «Boualem Bouchouareb a remis le prêt de 72 millions de dinars en mains propres à Khalifa» En 2007, le même responsable avait déclaré avoir informé à «plusieurs reprises le ministre de la Solidarité, Tayeb Belaïz, de l'ouverture des comptes à El Khalifa Bank et du parrainage de l'opération de financement des microcrédits, mais il n'a pas donné suite». Hier, son avocat affirmait qu'«il n'avait rien commis d'illégal et n'a fait que son travail», de ce fait, il demande au tribunal la relaxe. Me Harbiche, avocat de Amar Amarouchène, responsable de l'Enafor, poursuivi pour corruption et trafic d'influence, contre lequel le procureur général a requis 3 ans de prison ferme, relève que son mandant est victime de son nom. «Il a le malheur de porter le même nom que l'épouse de Khalifa. Sa fonction d'assistant du directeur général a pris fin le 30 décembre 1999, alors que les placements ont été effectués en 2002. Quel est le lien avec cette affaire ? Comment peut-il être poursuivi de corruption ou de trafic d'influence ?» dit-il avant de réclamer la relaxe pour son mandant. Me Moussa Ammeur, avocat de Safi Telli, directeur général de l'ADS, commence par louer les qualités professionnelles de son mandant, avant de préciser que l'agence avait ouvert deux comptes courants, l'un d'exploitation et l'autre de gestion, à El Khalifa Bank, «après le refus des banques publiques de gérer ces micro-crédits, dont 84% ont été dépensés pour aider les familles démunies». L'avocat précise : «Une partie des bureaux de l'agence avait été ravagée par un incendie et El Khalifa Bank lui offert 20 postes de micro-ordinateurs.» Le juge : «Limitez-vous aux billets d'avion et le fait que son fils puisse bénéficier d'une formation de pilote…» L'avocat : «Le fils de Telli est un universitaire. Il a toutes les capacités pour faire cette formation. Aujourd'hui, il est pilote à Tassili Airlines.» Me Djamel Belloula, avocat de Lynda Benouis, directrice de la monétique à El Khalifa Bank, contre laquelle le parquet a requis 3 ans de prison ferme assortie d'une amende de 20 000 DA, et la confisquation de son appartement, souligne que le représentant du ministère public, n'avait pas introduit un pourvoi en cassation contre la condamnation de deux ans avec sursis, prononcée en 2007, contre la mise en cause. «Nous avions contesté la peine de 2007, parce qu'il y a eu violation de la procédure et nous sommes en droit de réclamer l'annulation de cette peine. Ce qui n'est pas le cas pour le parquet, qui lui l'a acceptée», souligne Me Belloula. Il revient au fond du dossier et déclare : «A El Khalifa Bank, il est d'usage chez les responsables de donner aux employés à hauteur de ce qu'ils ramènent à la banque. Lynda Benouis avait signé la convention de placement avec la mutuelle des postes et télécommunication, après l'accord de son conseil d'administration.» L'avocat s'interroge sur le fait que sa cliente se retrouve devant le tribunal, tandis qu'il y a «des responsables qui ont bénéficié de nombre d'avantages alors qu'ils n'ont été entendus que comme témoins». Le juge : «Limitez-vous aux faits. Les 9 millions de dinars qu'elle a pris et qu'elle n'a pas remboursés.» Me Belloula : «Elle a bénéficié d'un prêt, inscrit comme acquisition d'une villa. C'est Benouis qui a expliqué qu'il ne s'agissait pas d'une villa, mais d'un appartement qu'elle a acheté avec un prêt obtenu auprès de la banque. La relaxe et évoquent poids, deux mesures En fait, cette affaire n'est que le résultat d'une confusion. Le liquidateur affirme ne pas avoir de document comptable qui justifie le remboursement de ce montant, précisant que ce même liquidateur avait clairement affirmé que lorsqu'il n'y a pas de preuve, on ne dépose pas de plainte. La seule preuve présentée par Benouis est cette lettre de Khalifa, même si ce dernier affirme le contraire». Maître Belloula tente d'être plus explicite en procédant à la comparaison entre le cas de sa cliente et celui du témoin qui n'a pas répondu à la convocation du tribunal criminel, le nommé Boualem Bouchouareb, frère du ministre de l'Industrie Abdessalem Bouchouareb, qui a obtenu un «prêt» de 72 millions de dinars auprès de l'agence de Koléa pour la société (de son frère) Flocon Or. Il a affirmé au juge que le montant a été «remboursé, le montant a été remis en mains propres à Abdelmoumen Khalifa, dans son bureau, à Chéraga». Ce qui suscite une question lancinante du juge : «Est-ce que le témoin a remboursé ou non ? Le non-remboursement d'un crédit ne suscite pas des poursuites pénales, mais civiles ou commerciales. Si M. Badsi lui-même dit qu'il ne peut pas trancher tant qu'il n'a pas terminé la liquidation, qu'allez vous faire ? Pour moi, l'abus de confiance ne repose sur aucune preuve.» Me Belloula réclame la relaxe pour Benouis, avant de céder sa place à Me Abdelghani Houari, avocat de Lilya Ladjlat, responsable de Khalifa Confection. Le parquet général a requis contre elle 3 ans de prison ferme. L'avocat souligne que la mise en cause avait bénéficié d'un prêt social, qu'elle dit avoir remboursé. Il conteste tout lien avec sa sœur qui exerçait à la BDL et a quitté le pays en 1997, et son recrutement à El Khalifa Bank. «Ses capacités professionnelles lui ont permis d'être rapidement promue pour passer à Airways, puis à Khalifa Confection. A ce titre, elle avait un chauffeur à sa disposition parce qu'elle ne conduisait pas. La voiture était au parc de la société et au service des autres employés. Elle est partie en voyage, laissant la voiture chez le chauffeur. Ce dernier l'a appelée pour lui dire qu'il ne savait pas à qui la remettre. A son retour, elle l'a restituée à M. Badsi, après avoir lu le communiqué publié dans les journaux et avant le délai imparti. Est-ce que cette voiture a disparu ? Non. Alors où est l'abus de confiance ?» lance l'avocat. Il exhibe l'arrêt de renvoi et précise : «Il y a là un haut cadre de l'Etat qui a mis la voiture au nom de son fils et une autre personnalité a pris un autre véhicule dans les mêmes circonstances, sans qu'ils soient poursuivis. Pourquoi alors Lilya Ladjlat est-elle ici alors qu'elle a restitué la voiture ? Je vous demande de la relaxer.» L'avocat de Hakim Boukerma, chargé de la sécurité du bureau de Khalifa TV à Alger, contre lequel une peine de 2 ans de prison ferme a été requise pour n'avoir pas restitué le véhicule de service, plaide la relaxe en mettant l'accent sur «l'absence d'éléments constitutifs du délit d'abus de confiance. Il révèle que le retard de remise de cette voiture est dû à des événements douloureux qu'il a traversés — la maladie de son fils et son évacuation à l'étranger, puis le décès de son père. De plus, il n'avait personne à qui remettre ce véhicule jusqu'à ce que les gendarmes le soulagent en lui demandant de le restituer». L'avocat demande la relaxe. Me Benguitoune, avocat de Mohamed Rachid Bousahoua, contre lequel une peine de 5 ans a été requise pour recel de produits de crime, déclare d'emblée que son mandant «est innocent». Pour preuve, ajoute-t-il, «la relaxe a été obtenue en 2007». Il affirme que le véhicule objet de cette affaire «a été acheté avec son propre argent remis à son beau-frère (frère de son épouse) Chachoua Badreddine pour bénéficier des avantages d'un achat groupé organisé par El Khalifa Bank au profit de ses employés. Comment peut-il faire du recel d'une voiture qu'il a payée avec son argent ? J'espère que le tribunal prononcera la relaxe». «Ali AOun a été délibérément impliqué dans cette affaire» Me Yahia Chebli, avocat de Ali Aoun, contre lequel une peine de 5 ans de prison ferme a été requise, note que la plupart des dirigeants des entreprises publiques poursuivis dirigent des EPE, alors que Saidal est une société qui obéit au code du commerce. Il s'interroge : «Est-ce que Ali Aoun est un fonctionnaire ? La réponse je ne l'ai pas trouvée parce que la définition est introuvable. Saidal n'est pas une société de l'Etat et Ali Aoun a été nommé par les actionnaires de Saidal. Donc il ne peut pas être un fonctionnaire. Mieux, à ce jour, Saidal ne s'est pas constituée partie civile dans cette affaire parce qu'elle n'a subi aucun préjudice.» L'avocat demande au tribunal «s'il y a une seule preuve écrite ou orale sur un ordre qu'il aurait pu donner pour valider la convention avec KRG Pharma». Revenant sur la Citroen C5 que Khalifa lui aurait affectée, l'avocat évoque les éléments constitutifs du délit de corruption et explique que «cette voiture a été envoyée au siège de l'entreprise après la signature de la convention avec KRG Pharma avec une filiale de Saidal, qui ne comportait pas sa signature. De quels avantages a-t-il bénéficié ? Sur la liste des 39 bénéficiaires de cartes de thalassothérapie, 20 les ont utilisées et les 19 autres — parmi lesquels Aoun Ali — ne l'ont pas fait. Il a été impliqué délibérément dans cette affaire. Nous espérons que justice lui sera rendue». Maître Boukhdir, avocat de Abdelhamid Ouail, directeur de l'OPGI de Relizane, contre lequel une peine de 2 ans de prison ferme a été requise, explique que son mandant n'a rien à voir avec les placements qui ont été effectués par son prédécesseur, et que la commission de 300 000 DA évoquée par Hakim Guers (directeur de l'agence El Khalifa Bank d'Oran) ne lui a jamais été versée. Il réclame de ce fait la relaxe de son mandant. La même demande est faite par Me Abdelkader Brahimi, avocat de Rabah Belkacem (cadre de Khalifa Airways) contre lequel une peine de 18 mois de prison ferme a été requise. Il affirme que son mandant «n'était pas de mauvaise foi». Il ajoute : «Il a mis du retard dans la restituer parce qu'il était occupé par la maladie de son épouse, évacuée à l'étranger, qui a rendu l'âme par la suite.» Maîtres Nabil Ouali et Akboudj, avocats de Ali Assila, directeur général d'Enafor, contre lequel le parquet a requis 3 ans de prison ferme, déclarent que les placements n'ont aucun lien avec les cartes de gratuité. Pour eux, «il est inconcevable d'évoquer des cartes de gratuité de voyage lorsqu'il s'agit d'une société qui génère des millions de dollars. Ces gratuités font partie des mesures d'accompagnement que toutes les compagnies du monde offrent à leurs clients». Les plaidoiries reprendront aujourd'hui.