Pour la deuxième fois en moins d'un mois, des Tunisiens ont été kidnappés à Tripoli. Ce rapt serait en rapport avec l'arrestation, à l'aéroport de Tunis-Carthage, le 17 mai dernier, de Walid Guelayeb, chef du régiment Badr, basé à Tripoli. Ce sont les hommes de ce régiment qui sont derrière les tracasseries que connaissent les Tunisiens depuis cette date. La première fois, une centaine de citoyens tunisiens avaient été arrêtés. Cette fois, cette milice, connue aussi sous le nom de régiment des missiles, a pris d'assaut le consulat. Son objectif est clair : «Libérer Walid Guelayeb, tant que les autorités tunisiennes n'ont rien de précis contre lui.» C'est ce qu'ils ont exigé, selon une déclaration à El Watan du président de la commission d'information du Congrès national général, Mahmoud Abdelaziz. Ce dernier a déploré cet acte «irresponsable» et souligné que «les 10 Tunisiens seront incessamment libérés». Pour sa part, le ministère tunisien des Affaires étrangères a vigoureusement dénoncé cet acte. «Il s'agit là d'une atteinte manifeste à la souveraineté de la Tunisie et d'une violation flagrante des résolutions internationales et des règles diplomatiques qui garantissent la protection et la sécurité des fonctionnaires et des missions diplomatiques et consulaires», lit-on dans le communiqué officiel du ministère. Une cellule de crise a été formée. Il est à souligner que, contrairement à la communauté internationale, dont la majorité a préféré retirer ses représentations diplomatiques de Tripoli, la Tunisie a décidé de garder un consulat dans la capitale libyenne, en raison des liens bilatéraux spécifiques entre les deux pays. Toutefois, la présence des Tunisiens en Libye n'a pas été exempte de risques, si l'on en juge par les fréquents rapts dont les Tunisiens font l'objet, à savoir celui des journalistes Soufiane Chourabi et Nadhir Ketari, disparus depuis septembre 2014. Intérêts et risque terroriste Pour l'analyste politique Slaheddine Jourchi, le gouvernement tunisien est entre deux feux. D'une part, la Tunisie a beaucoup d'intérêts en Libye. Le Sud tunisien vit du commerce avec Tripoli et l'Ouest libyen. Lequel Sud tunisien est déjà touché par le chômage, la pauvreté et la marginalisation. «Habib Essid est certes conscient du danger terroriste provenant du voisin du Sud. Mais, le gouvernement tunisien ne peut pas se permettre de bloquer les relations avec Tripoli. C'est un véritable casse-tête», estime Jourchi, qui précise que «les milices de Fajr Libya sont impliquées dans des affaires de rapts et de tortures, comme le prouve l'affaire pour laquelle Walid Guelayeb a été arrêté». Selon Jourchi, un terroriste tunisien a cité Guelayeb comme la personne l'ayant recruté dans la ville libyenne de Misrate pour garder des personnes kidnappées. Il y a donc des faits avérés de terrorisme en lien avec des milices de Fajr Libya, comme l'affirment par ailleurs plusieurs sources diplomatiques étrangères, qui ont déjà dressé une liste de personnes impliquées dans le terrorisme. Ce vrai dilemme, auquel le gouvernement tunisien est opposé, n'a pas empêché plusieurs dirigeants politiques d'exiger plus de rigueur de la part de la diplomatie de leur pays. Ainsi, le député Mongi Rahoui, du Front populaire, demande «la fermeture des services consulaires à Tripoli». «On peut gérer les affaires administratives et commerciales à partir d'un bureau à Ben Guerdane qui se trouve à trois heures de route de Tripoli», explique-t-il. De son côté, le secrétaire général du parti Al Massar et ex-membre de l'Assemblée nationale constituante, Samir Taïeb, pense que «la lutte antiterroriste passe avant tout, et comme plusieurs factions de Fajr Libya alimentent le terrorisme, on ne saurait continuer à fermer les yeux». Trop d'enjeux dans la crise libyenne. Mais la priorité, aujourd'hui, c'est de libérer les 10 Tunisiens enlevés à Tripoli.