On sait bien que certains se vantent à dessein d'avoir de bonnes relations avec tel haut responsable politique ou tel haut gradé dans la hiérarchie militaire, pour assurément se donner une importance et un rôle social, ou s'en servent comme d'un passe-partout, mais imaginez qu'un président d'un parti l'étale au grand jour en usant d'une terminologie aussi familière qu'inopportune, lorsqu'il évoque ses rapports avec de hauts responsables, il y a un autre pas qui est franchi dans les mœurs politiques. Cette ligne morale, Omar Ghoul, président du parti Tajamou Amel Jazaïr (TAJ), l'a dépassée allégrement. «Il n'y a aucun problème entre le président de la République, aâmi (oncle, ndlr) Salah (Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée et vice-ministre de la Défense) et le général Toufik qui est une personne honnête et nationaliste et j'ai de bons rapports avec lui, on joue dans la même équipe de foot», disait-il, dans une conférence de presse qu'il a animée samedi dernier. Pour quelle raison Ghoul a été amené à servir des «aâmi» au chef d'état-major et parler de ses relations personnelles avec le chef du département du renseignement et de la sécurité (DRS) ? Certainement pour faire passer le message que tout va pour le mieux au sommet de l'Etat. Mais avait-il besoin de faire usage d'une telle familiarité pour arriver à ses fins ? Ghoul est ainsi. Il faut dire qu'il a bien compris comment fonctionne la politique dans le pays. Portrait d'une ascension fulgurante qui fait de lui un ministre depuis 16 ans. Arrivant en 1997 dans les bagages du Mouvement de la société pour la paix (MSP) de Mahfoudh Nahnah, Amar Ghoul est le plus cool des députés islamistes, le plus ouvert, c'est en fait l'anti-Abderrazak Makri, son collègue du MSP et aujourd'hui président du parti, plus radical dans ses positions. Dans un contexte, où les islamistes radicaux étaient plutôt haïs, n'avaient pas bonne presse, Ghoul lui jouait la proximité avec les journalistes en général et avec ceux des journaux progressistes et laïcs en particulier. Il était le plus accessible des collaborateurs du défunt président du MSP, Mahfoudh Nahnah. On disait qu'il jouait bien le rôle de belle façade, et une tolérante pratique politique pour des islamistes qui ne le sont pas dans le fond, à tel point que beaucoup se demandaient qu'est-ce que faisait un homme aussi ouvert au sein d'un parti islamiste aussi fermé. Amar Ghoul avait certainement le contact facile et, pour l'islamiste qu'il était, cela suffisait pour ceux qui ont eu à le connaître. Nul ne cherchait à savoir quels étaient ses diplômes, avait-il les compétences qui vont avec ? Son génie était, par-dessus tout, le sens du contact et la courtoisie. Il arrive à l'Assemblée populaire nationale à l'âge de 36 ans, au moment où les Algériens de son âge cherchaient encore du travail, croulaient sous les coups de la crise des années 1990. Né le 21 février 1961 à Aïn Defla, Amar Ghoul obtint, selon sa biographie publiée sur le site du ministère des Transports qu'il a géré jusqu'au dernier remaniement, son bac maths en 1980, mais c'est après 1986 que son cursus universitaire s'emballe. Cette année-là, il devient ingénieur d'Etat en génie civil. En 1988, il obtient le diplôme d'études approfondies (DEA) en génie nucléaire /option mécanique, HCR. Une année après, il inscrit à son tableau de chasse le diplôme d'études spécialisées (DESU) en génie mécanique, mais cette fois-ci à Metz, en France. Une autre année après, en 1990, il accède au magistère en génie nucléaire/option mécanique, à la même université avant d'obtenir en 1991 le doctorat en génie nucléaire/option mécanique. 1998 est l'année de l'accomplissement pour Amar Ghoul qui passe docteur d'Etat en génie mécanique/option construction mécanique, à l'USTO/Oran. Il était déjà député depuis une année. Sur le plan professionnel, il a débuté comme ingénieur contrôleur CTC, et sa biographie dit qu'il a été chercheur et professeur en France, avant d'occuper le poste de chef de département de mécanique et chercheur au centre nucléaire, puis directeur de la post-graduation à l'université, par la suite directeur d'institut à l'université. Bardé de diplômes, on ne connaît, cependant, à Ghoul aucune production dans son domaine de recherche, ni ailleurs. Mais pour faire de la politique, Amar Ghoul n'avait pas besoin de ses diplômes, il a l'essentiel, le sens du contact, des affaires et le flair de l'opportunité. Et la fausse modestie qu'il utilise en jouant la proximité. D'ailleurs, sitôt nommé ministre du Tourisme, il saute dans le premier avion pour Sétif où il décline, avant d'avoir eu le temps de discuter avec les cadres de son nouveau ministère, ses priorités pour son secteur, à savoir la promotion du tourisme thermal. Dans son CV «plaqué» sur le site du ministère des Transports, Ghoul brandit les postes qu'il a occupés comme des trophées, et ils sont nombreux et synonymes d'une ascension fulgurante. Il a été député, rapporteur de la commission du règlement intérieur de l'APN, membre de la commission juridique et administrative de l'Assemblée, vice-président du groupe parlementaire, puis président du groupe, bien évidemment sa biographie omet de citer son ancien parti le Mouvement de la société pour la paix. Ministre : Ghoul a été à la Pêche, puis aux Travaux publics, aux Transports et enfin ministre de l'Aménagement du territoire, du Tourisme et de l'Artisanat, son poste actuel. Il est ministre depuis 1999. Le secret d'une longévité Après l'ancien ministre de l'Education nationale, Boubaker Benbouzid, c'est Amar Ghoul qui s'apprête à battre le record de longévité au gouvernement. Ce n'est certainement pas la réussite dans les secteurs qu'il a gérés qui lui a permis de s'installer aussi durablement dans l'Exécutif ; ce sont les échecs et… l'allégeance. Mais s'il n'a pas brillé aux postes ministériels qu'il a occupés, c'est aux Travaux publics qu'il s'est fait connaître. Et son nom colle au projet du siècle, l'autoroute Est-Ouest, et au scandale qui l'a accompagné. Voilà ce qu'a écrit sur lui un de ses collègues dans le gouvernement autrefois chroniqueur dans un quotidien national : «On ne voit que lui sur tous les chantiers d'Algérie. Comme un zéro, il se multiplie à l'infini. Mais lui n'est pas un zéro. C'est un Zorro au menton mussolinien. La télé le montre partout et partout il donne l'impression de faire bouger les choses.» Dans la réalité, que du vent. En fait, Ghoul n'a jamais été loin de son domaine ; comme la particule et le vent. De ce dernier, le ministre en vend à satiété. On se rappelle comment Ghoul a vendu des chimères. Des projets en veux-tu en voilà. Comme celui «de réaliser un tunnel qui permettra de relier la place Addis-Abbeba (El Mouradia) au Val d'Hydra (3 km), afin d'atténuer la congestion de la circulation enregistrée au cœur de la capitale et dans sa proche périphérie». «Nous sommes en train de préparer les cahiers des charge relatifs à l'appel d'offres international du projet de ce tunnel desservant le centre d'Alger», avait déclaré Ghoul en 2012. Quelques années auparavant, Ghoul, alors ministre des Travaux publics, annonçait un projet de route qui devait relier Draria à Saïd Hamdine, à travers la réhabilitation d'une ancienne route mitoyenne au parc zoologique. Bien évidemment, les citoyens peuvent constater aujourd'hui les belles réalisations de Ghoul : autoroute Est-Ouest pas encore livrée entièrement, et la partie réalisée est dans un piteux état. Comment Amar Ghoul a survécu à tous ses échecs, et surtout au scandale de corruption qui a touché l'autoroute Est-Ouest, et dont le procès vient juste de se terminer ? Si au départ, il a dû bénéficier de la position de son ancien parti, le MSP, sur l'échiquier politique, Amar Ghoul a fini par faire cavalier seul. L'irrésistible attrait du pouvoir l'a conduit à s'émanciper de sa formation politique qu'il a quittée en 2012 pour créer le Tajamou Amel El Jazaïr (TAJ) qu'il inscrira, «naturellement» dans le giron du clan présidentiel. Il a été l'un des premiers à appeler à un quatrième mandat pour le président Bouteflika. Il a fait campagne pour sa candidature en avril 2014. Récompense : malgré sa gestion catastrophique des Travaux publics et le fait que son nom soit cité par l'un des principaux accusés dans le scandale de l'autoroute Est-Ouest, «le colonel Khaled» qui dit que «l'ancien ministre du secteur avait touché 25%», Amar Ghoul change d'abord de portefeuille ministériel. Abdelaziz Bouteflika lui confie le ministère des Transports, avant de le muter au méga-ministère de l'Aménagement du territoire, du Tourisme et de l'Artisanat (MATA). Amateur de poisson et des terrasses de Bouharoun, de foot, Ghoul n'a pas pris une ride. Il donne l'air de quelqu'un qui fait abstraction des tracasseries que peut engendrer sa gestion des échecs, dont il se défend.