Le syndicaliste demande l'ouverture d'une enquête sur l'attribution de bourses pour des études à l'étranger attribuées à des enfants de décideurs, comme les ministres, dans des conditions défiant toutes les règles. Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond à l'université ? - Vous avez dénoncé l'attribution de bourses à des enfants de ministre pour aller étudier à l'étranger. Un autre cas de bourse octroyée à la fille d'un responsable du ministère a provoqué un scandale à l'université de Bab Ezzouar. Concrètement quels sont les étudiants qui ont le droit à une bourse ? Il y a une dizaine d'années, le président de la République a lui-même bloqué l'octroi des bourses aux étudiants par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, en raison des multiples dépassements. C'est la Présidence qui se chargeait de délivrer cette bourse aux seuls lauréats du bac. Mais parmi nos jeunes étudiants, rares sont ceux qui ont la capacité de suivre des études, à cet âge, à l'étranger. Actuellement, même les lauréats au bac n'ont pas droit à cette bourse. Mais dans certaines filières définies par les pouvoirs publics, il existe des bourses pour les lauréats en master. Des bourses mixtes sont également accordées après concours dans le cadre de partenariat avec l'Union européenne ou les Etats-Unis. Ces dispositifs ne sont pas destinés aux enfants des décideurs. Il faut reconnaître qu'il y a, grâce à des commissions chargées d'attribuer les bourses, de plus en plus de transparence. Et c'est aussi la raison pour laquelle des scandales éclatent de temps à autre. Mais cela n'empêche pas les plus hauts responsables, mieux protégés, de continuer à demander des bourses pour leurs enfants. Car au fond, la stratégie du ministère reste opaque. - Comment définissez-vous cette «stratégie opaque» ? L'opacité a longtemps été liée à l'appartenance politique des recteurs, qui devaient tous être du FLN. Ensuite, à l'attribution du grade de professeur par décret présidentiel grâce à l'article 120 qui remet en question l'évolution de carrière basée sur la valeur scientifique. Jusqu'à aujourd'hui, l'université a fonctionné comme une caste politique. Quand j'ai parlé d'enfants de ministres qui bénéficient de bourses à l'étranger, un ministre m'a contacté pour me dire que je m'étais trompé sur l'âge du garçon, qu'il n'avait pas 20 ans mais 18 ans et demi ! Autre problème dans le secteur : celui des équivalences. Par exemple, plus de 1500 étudiants ont été formés par l'Institut de la Ligue arabe, mais quand ils sont revenus en Algérie, les ex-ministres de l'Enseignement supérieur ont refusé de leur délivrer les équivalences. C'est donc toute la stratégie de formation à l'étranger qui est à revoir. - Est-il nécessaire de continuer à envoyer des étudiants à l'étranger ? Absolument si nous voulons hisser notre jeune université dans le gotha mondial. Les pouvoirs publics ont investi beaucoup d'argent dans la formation à l'étranger, il faut le reconnaître. Mais les mécanismes de suivi et de contrôle sont largement insuffisants pour rationaliser ces dépenses en devises fortes. Pendant des années, on a envoyé des étudiants à l'étranger, et on n'a même pas cherché à savoir s'ils étaient rentrés en Algérie ou pas. Dernièrement, le ministre a même annoncé vouloir supprimer les lettres d'accueil des universités étrangères, ce qui nous a largement surpris. Cette annonce va ouvrir la porte à des dépassements encore plus importants, car cette lettre d'accueil, qui était le seul instrument de contrôle, connaissait déjà des détournements. Par exemple, le personnel ATS (les agents techniques de l'université) ont le droit de séjour de formation aussi. Certains, dans l'administration, leur procurent des lettres d'accueil à 700 euros, pour bénéficier d'une bourse de 2000 euros. Et généralement, ces agents ne sont pas intéressés réellement par la formation. Ils prennent les 1300 euros pour faire des courses. Au CNES, nous avons revendiqué sa suppression, mais dans le cadre d'une refonte globale des textes régissant cette activité. Concernant la question des bourses aux étudiants, l'ouverture d'une enquête sérieuse dévoilera que ce ne sont pas seulement les enfants de ministres qui ont bénéficié de ces bourses, mais tous les enfants des responsables qui ont profité de l'université. Ces pratiques sont assez anciennes. - Un mois est passé depuis le remaniement ministériel. Le nouveau ministre Tahar Hadjar vous a-t-il présenté sa feuille de route ? Officiellement, non. Mais à travers la presse, nous avons appris, au même titre que tous les citoyens, un certain nombre de mesures prises et qui nous laissent perplexes, car elles ne nous semblent pas refléter les priorités du secteur. Nous pensons que la seule urgence de la tutelle actuellement est de savoir comment faire face à une rentrée universitaire des plus complexes et des plus difficiles. Nous pensons que c'est une erreur grave de considérer qu'une rentrée sereine est possible sans la mobilisation du corps enseignant. Laquelle passe inéluctablement par la prise en charge de leurs revendications et la mise en œuvre d'une stratégie claire et nette avec le CNES. Au sein de ce ministère, on continue à tenir des discours qui n'ont rien à voir avec la réalité du secteur mis à genoux ! - Selon le discours qu'a tenu le ministre, lors de sa visite en France, la diaspora est conviée à rentrer au pays… Ce discours est largement usé et nous renseigne sur l'incapacité à traduire ce désir en réalité. La situation actuelle de l'université, la démarche boiteuse des réformes, ainsi que l'absence d'un texte de loi encadrant cette opération ont de tout temps découragé notre diaspora à revenir au pays. De plus, la tentation d'utiliser cette diaspora pour des ambitions purement politiciennes et les nombreuses tentatives de récupérations électoralistes ont aggravé le déficit de confiance. Aujourd'hui pour faire une telle démarche, on a besoin d'ouvrir le dossier publiquement et d'éloigner l'université des enjeux politiciens et partisans. - Elle aurait le mérite d'apporter des compétences à l'université… Cette diaspora, hétérogène, comprend des méritants envoyés par l'Etat mais qui n'ont pas honoré leur contrat et sont restés à l'étranger. D'autres qui se sont exilés volontairement, car l'université algérienne n'offrait pas les conditions d'épanouissement. Et d'autres qui ont bénéficié illicitement de bourses parce qu'ils gravitent autour des rouages de l'Etat. En rentrant avec un diplôme de l'étranger qui vaut plus qu'un diplôme national, ces enfants des patrons seront encore des patrons. C'est ce qu'on appelle la reproduction du système. Ainsi, je pense que pour le processus de démocratisation qui a commencé en 1989, nous avons le devoir d'éviter de reproduire les échecs du passé. D'où la question de responsabilité morale des uns et des autres. Surtout des pouvoirs publics. - Comment voyez-vous l'avenir de l'université ? Nous devons nous dire les vérités. Malheureusement, ni l'assemblée nationale, ni le Conseil de la nation, ni aucune autre institution de l'Etat ne parlent de ce secteur névralgique qui traite des cerveaux des Algériens, dont 1,4 million d'étudiants. J'en profite donc pour appeler le ministre à fixer les priorités et exposer une feuille de route. Si on ne considère pas l'université dans un cadre global de construction du pays, d'une nation guidée par la justice sociale, l'université sera au service d'une secte. Nous devons réhabiliter l'acte pédagogique. Mais l'Algérie a tous les moyens pour redresser le secteur.