Nous devons apprendre et tirer des leçons de toutes les expériences mondiales. La crise grecque constitue un laboratoire à ciel ouvert pour les scientifiques du monde entier. Il n'y a pas que l'économie qui soit concernée ; bien que ce champ d'investigation soit prépondérant. Les politologues, les sociologues, les psychologues et autres auront de quoi alimenter leurs terrains de recherche pour de nombreuses années encore. Au sein de l'économie, plusieurs disciplines sont concernées, l'économie internationale en premier, les politiques macroéconomiques conjoncturelles. Les choix publics et le reste seront tous interpellés pour donner un sens à ce qui apparemment en a très peu. Il est à noter que les interlocuteurs sont pratiquement d'accord sur le diagnostic. L'essentiel des acteurs, la Troïka (Commission européenne, BCE, FMI) et les experts du gouvernement grec pointent du doigt les mêmes défaillances qui avaient conduit le pays au bord du gouffre. C'est la preuve que lorsqu'on maîtrise le diagnostic, la solution n'est pas évidente. L'économie n'a plus de schémas thérapeutiques standards sur lesquels la vaste majorité des scientifiques serait d'accord. Mettons de côté l'économie marxiste qui s'est disqualifiée par de vastes expériences de l'humanité. Personne ne propose plus aux grecs la dictature du prolétariat et le «centralisme démocratique». Lorsque le diagnostic est clair, demeure toujours le choix entre de nombreuses alternatives inspirées des lignes de pensées parfois discordantes. La tragédie grecque se joue à ces niveaux : même en mettant le marxisme sur la touche, les écoles de pensées économiques offrent encore des panoramas de solutions parfois opposées. Le consensus du diagnostic Une crise de cette ampleur est rarement le fruit du hasard ou d'événements externes imprévus. Bien qu'on puisse donner plus d'importance à un phénomène au détriment d'un autre, les mêmes causes sont évoquées par les interlocuteurs. Les déficits budgétaires grecs passés n'avaient pas financé une économie productive compétitive, ni un système de développement humain qui aurait rentabilisé ces dépenses. Au lieu de cela, les financements sont allés booster le niveau de vie d'une classe politique aisée et offrir un standard de vie aux institutions et personnes politiquement mieux structurées. L'économie grecque n'avait même pas le système d'information adéquat pour se gérer comme une entité moderne. Par ailleurs, les transferts sociaux étaient trop lourds par rapport à la taille de l'économie. Ce qui impliquait que le pays s'endettait pour servir les mieux nantis et ceux qui pesaient lourd sur la scène politique. Ce que font certains pays avec des rentes, la Grèce l'a fait avec de l'endettement externe. On se souvient tous des essais de falsifier les données économiques pour être en ligne avec les exigences européennes. Mais la réalité rattrape toujours les menteurs. La Grèce a un secteur informel important, et même l'économie formelle n'est que partiellement captée par les données et donc le système de taxation. Certes, on évoque que les Etats-Unis sont un pays super endetté avec le ratio de dettes/PIB qui a dépassé les 100% après la crise des Subprimes. Celui de la Grèce s'est détérioré après les sévères mesures d'austérité imposées à la population pour dépasser les 170% du PIB. Certes, il y a deux différences fondamentales : les USA jouissent d'une confiance inégalée due à certains fondamentaux économiques solides (innovation, recherche et développement, qualité du système de formation), alors que d'autres paramètres sont inquiétants : inégalités sociales, fragilité de la reprise, etc. En second lieu, l'économie américaine, avec une croissance de 3 à 4%, serait capable de repayer sa dette sans grandes difficultés. Il y aurait des incertitudes uniquement si les perspectives de croissance se détériorent. Les alternatives et les approches L'approche trop libérale inspirée du «Consensus de Washington» a montré ses limites : c'est tout simplement un fiasco. Le pays a perdu 22% de son niveau de vie sans pour cela amorcer un désendettement, ni un espoir de reprise durable. Mais il reste que nous avons encore des divergences d'opinion entre de nombreux experts et cadres des institutions internationales. Les économistes de la Troïka continuent de penser qu'en réduisant les dépenses publiques (retraites, salaires) et en augmentant les taxes (imposer l'église, accroître la TVA, mieux collecter l'impôt) etc. le pays peut s'en sortir. Mais pourquoi ces mêmes pratiques n'ont pas donné alors de résultats probants par le passé ? Les experts de la Troïka pensent que les efforts n'ont pas été suffisants et n'ont pas convaincu les financiers et les patrons grecs et étrangers d'investir massivement dans le pays pour le sortir de ce marasme. Le repère essentiel de ces penseurs demeurent les anticipations des marchés financiers et des hommes d'affaires. Tant que ces «Messieurs» ne sont pas satisfaits des efforts grecs, il faut donc faire plus de sacrifices. Mais un problème demeure avec cette approche. Quand ces «juges suprêmes» seront-ils contents, et quel niveau d'effort faut-il consentir ? Personne ne le sait. La Troïka est dans l'impasse. Son projet n'a ni horizon ni perspectives clairs. Les grecs ont raison de s'inquiéter. Le deuxième groupe d'experts et d'hommes politiques appuyés par de prestigieux prix Nobel d'économie (Stigliz, Krugmman) pensent que les mesures d'austérité imposées à la Grèce vont trop loin, infligent à la population beaucoup de sacrifices inutiles, sont inefficaces et il faudrait donc changer de stratégie d'approche vis-à-vis de la situation. Même si les experts divergent sur les détails techniques, les approches sont sensiblement les mêmes. Un allègement de la dette serait nécessaire, une partie devrait être achetée par la Banque européenne dans le cadre de la politique de Quantitative easing (QE) et des efforts structurels doivent être faits par le pays. Notons ici que ce sont surtout les institutions publiques qui doivent gérer la remise sur rail de l'économie grecque. Cette solution n'a pas été tentée. Mais avec un programme de réformes structurelles rigoureuses, elle a beaucoup plus de chances d'aboutir que les mêmes tentatives qui ont prouvé leur inefficacité.