Des morts, des blessés, des colonnes de fumée noire témoignant d'incendies, des nuages blancs de gaz lacrymogènes, le M'zab replonge dans l'horreur. C'est le non-apaisement, disons-le, car depuis la visite vendredi, du ministre de l'Intérieur, rien ne va plus à Ghardaïa. Il était venu reparler de paix intercommunautaire et d'une main tendue aux «frères ennemis». L'escalade de la violence reprend en plein mois de Ramadhan, avec l'utilisation d'armes à feu, une tendance qui succède à un scénario en plusieurs actes qui se déroule inexorablement au M'zab en proie à une vague de terreur ininterrompue depuis 2013, accentuée par l'incitation forcée à l'exode de part et d'autre, un retour au communautarisme et à l'enclavement, des incendies volontaires, des saccages en règle et surtout cette haine et cette rancune ambiantes qui font froid dans le dos. Ghardaïa en ce 7 juillet cède devant ses assaillants. Est-ce le point de non-retour tant redouté ? L'Algérie donne-t-elle peu cher de son M'zab au point de le voir sombrer sous les regards impuissants de la communauté nationale ? Faut-il attendre d'autres morts ? Quel est le prix à payer quand le bilan provisoire des affrontements des dernières 24 heures fait état de 4 nouveaux décès inutiles dont trois par balles et chevrotines tandis que la 4e victime, une personne âgée a succombé à l'inhalation massive de gaz lacrymogène dans la nuit de dimanche à lundi, à Guerrara. Entre deuil et affliction générale, deux nouveaux ksour du M'zab rejoignent Bounoura et Sidi Abaz, théâtres des violences de dimanche à lundi. Dès lundi soir, Berriane, 45 km au nord du chef-lieu de wilaya, connaît ses premiers affrontements, qui reprendront le matin, tandis que Guerrara, 135 km au nord-est de Ghardaïa, plonge dans le conflit ouvert. Après l'agression d'un des leurs, écrasé volontairement et laissé pour mort par un individu, les éléments des forces antiémeute refusent de travailler sans moyens adéquats. En face d'eux, des hordes d'individus munis d'armes à feu et n'hésitant pas à abattre leurs vis-à-vis. Nos sources confirment que les trois victimes d'hier ont été tuées par des tirs de chevrotine et de balles réelles. Les faits Le stade de la Fraternité connaîtra le début des premiers affrontements. Même les environs du célèbre institut El Hayat ne seront pas épargnés cette fois-ci. La seconde victime de la daïra ne tardera pas à tomber sous les balles d'un assassin. Ses artères sont livrées à des batailles de rue, des affrontements intercommunautaires et des interventions inefficaces des forces de l'ordre, demandant elles-mêmes des moyens pour intervenir. Le pire des scénarios se déroule actuellement à Ghardaïa, où on déplore 4 morts et au moins une centaine de blessés en 24 heures Des sources locales et médicales affirment que le corps de la victime était perforé par des chevrotines. Aucune explication rationnelle de l'absurde. Quelle a été l'étincelle, le drame est vite arrivé. Ni les renforts de police dépêchés sur les lieux et encore moins l'appel des sages n'apaiseront cette colère, cette banalisation de la mort, l'effroi qui continue à endeuiller des familles entières, une région entière, un pays entier. A Guerrara, des habitations et des commerces ont également été incendiés, notamment au quartier Baba Saâd où des ateliers d'artisans ont été brûlés. Entre un ciel noir de feu et de fumée et un sol témoignant de l'usage de pierres et de pavés, Guerrara, la coquette petite oasis, est livrée à la sauvagerie du saccage qui bouleverse ses espaces publics. Rien ne sera épargné, le vandalisme touchera tous les édifices et endommagera tout. Plus loin, sur la RN1 bloquée depuis lundi soir, la jonction entre le nord et le sud du pays semble coupée. Berriane, cette petite ville qui supporte plus qu'elle ne le peut son double statut de ksar du M'zab et de portail des deux grandes entités géographiques du pays, le Sahara et le Tell, s'embrase elle aussi occasionnant un nombre croissant de victimes. Selon des témoignages concordants, l'usage d'armes à feu est constaté pour la première fois. Ce qui pousse le comité des notables mozabites à dénoncer cette escalade qui n'augure rien de bon. On parle d'armes, un Seminov notamment, rapporte un témoin. Et quand le constat s'étend du message affolé des sages de la ville demandant l'intervention des plus hautes autorités du pays, aux blessures des dizaines de victimes admises à l'hôpital Docteur Tirichine de Sidi Abaz, surtout après le décès de deux jeunes hommes à Baba Saâd et au centre-ville, l'effarement est entier. Akaka Belkhir, 40 ans, est décédé hier à 8h30, Femamnia Tahar, 35 ans, juste après. La RN1 longeant Berriane est restée coupée à la circulation automobile. L'encombrement a atteint son apogée et le contournement est très difficile via les routes rocheuses escarpées sans compter le danger d'une éventuelle agression. Selon des témoins, un camion de transport de marchandises de type Longmann de la société Trans Baouchi basée à Hassi Messaoud a été incendié. D'autres témoignages font état de l'agression d'un policier écrasé par un véhicule qui a pris la fuite, ses collègues ont assisté impuissants à la scène avant de prendre la décision d'opérer un retrait et d'exiger des moyens à la mesure du danger qui les guette. Aucune négociation n'a été possible avec ces agents qui se joignent au mouvement demandant une solution à la crise. Le commandement se réunit La société civile n'a pas pour autant baissé les bras. Une campagne de don de sang a vite été lancée pour répondre aux besoins urgents, vu le nombre de blessés. Hier matin, le policier gravement atteint à Guerrara a été évacué vers l'hôpital Docteur Tirichine de Sidi Abbaz où son collègue, blessé à la tête dimanche, est dans le coma. Hier après-midi, une dizaine de blessés sont arrivés au même hôpital dans un état critique au moment où les autorités sécuritaires se réunissaient au siège du secteur opérationnel militaire de Ghardaïa, sous la présidence du général-major Cherif Abderrazak, chef de la 4e Région militaire accompagné du général Abdelhafid Abdaoui, chef du commandement de la 4e Région de la Gendarmerie nationale. Au moment où les hélicoptères continuent à survoler la vallée, de nouvelles mesures sécuritaires sont attendues pour éviter le pire dans la soirée.