Après avoir fermé les portes devant l'opposition, Abdelaziz Bouteflika semble s'être réveillé d'un long sommeil. Il décide, comme d'un coup de baguette magique, de discuter, ne serait-ce que par procuration, avec une opposition qui n'a cessé de mettre en avant «l'autisme» du pouvoir. Alors que les Algériens se sont réveillés, jeudi matin, sur les informations faisant état d'une tragédie qui s'est jouée à Ghardaïa, la présidence de la République diffuse un communiqué pour annoncer une rencontre entre le chef de cabinet de la Présidence et le président du MSP, Abderrezak Makri. Un cheveu sur la soupe ? Pas vraiment. Sous d'autres cieux, une telle information passerait inaperçue. Une rencontre entre un pouvoir et une opposition fait partie de l'ordre naturel des choses dans une démocratie. Mais pas en Algérie. Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, Abdelaziz Bouteflika n'a jamais reçu réellement de personnalités de l'opposition. Il n'a jamais non plus parlé à la presse de son pays. Même au plus fort de la crise qui avait secoué la Kabylie en 2001, le chef de l'Etat n'avait discuté avec personne. Du moins pas publiquement. La seule rencontre entre le chef de l'Etat et une personnalité politique nationale a été celle tenue avec Louisa Hanoune, lorsque le chef de l'Etat avait prêté serment pour un quatrième mandat. Là, c'est la secrétaire générale du Parti des travailleurs, elle-même, qui avait évoqué publiquement cette rencontre. Plus qu'un refus de recevoir les opposants, Abelaziz Bouteflika nourrit une haine envers ceux qui s'opposent à lui. «Si la démocratie est la multiplication de petits partis, nous allons vous donner de petits partis !», avait-il clamé en 2011. Puis, exprimant son agacement de voir une multitude de partis politiques, Bouteflika rappelle qu'en 1988, «le peuple réclamait le pain, on lui avait donné la démocratie». Et pour boucler la boucle, le chef de l'Etat accuse l'opposition de vouloir pratiquer la «politique de la terre brûlée» afin d'arriver au pouvoir. Malaise dans l'opposition C'est pourtant ce chef de l'Etat qui a consenti, ce 9 juillet, à «recevoir» un parti qui se place désormais dans l'opposition. Que s'est-il passé ? S'il est difficile de comprendre les motivations du chef de l'Etat, il est loisible de savoir que son discours a changé. A l'occasion de la célébration de la Fête d'indépendance, le Président a «adressé» un message écrit dans lequel il consent que «l'opposition est dans son rôle». Dans la foulée, il «demande» à son chef de cabinet de recevoir Abderrezak Makri. Pour justifier cette «réception» par procuration, Ahmed Ouyahia évoque les limites physiques de son chef. Pourtant, c'est ce même Président qui reçoit pratiquement tous les invités étrangers qui passent par Alger. Peu importe si cela est mal interprété. Pour tenter d'expliquer la nouvelle démarche, Ahmed Ouyahia estime que «les portes de la présidence de la République sont ouvertes». Pour qui ? Chez l'opposition, c'est l'incompréhension qui l'emporte. Soufiane Djilali, président de Jil Jadid et partenaire du MSP dans la CLTD, avoue qu'il est surpris : «Nous n'étions pas informés de cette rencontre. Nous avons appris l'information par un communiqué.» Selon lui, il est «tôt» pour en tirer les conséquences. Mais l'homme partage une opinion avec le RCD : la démarche est purement partisane. Car, «les exigences de l'opposition n'ont pas changé : nous maintenons notre demande d'une élection présidentielle anticipée et la constitution d'une commission indépendante pour la gestion des élections», a-t-il dit. Alors que les dirigeants du MSP ont affirmé que «d'autres demandes» d'audience, émanant de l'opposition, ont atterri à la Présidence, des sources de l'opposition écartent cette hypothèse. La seule demande, exprimée officiellement, a émané de Soufiane Djilali. Ce dernier a demandé, non pas une audience, mais «qu'une commission de l'opposition puisse rencontrer le chef de l'Etat pour savoir s'il est en mesure de gouverner». Toute la différence. Une chose est certaine, cette visite du MSP chez Ahmed Ouyahia risque de déstabiliser l'opposition qui, jusque-là, a su parler d'une seule voix.