Makri a-t-il torpillé la CNLTD ? En allant en solo rencontrer Ouyahia en tant que représentant du Pouvoir pour «ouvrir un dialogue» dans la perspective d'un règlement de la crise, le leader du MSP a, selon ses partenaires de l'opposition, commis un grave impair qui risque d'avoir des conséquences fâcheuses sur la cohésion de l'instance de consultation qui a déjà du mal à gérer la diversité des opinions qui la composent. Le président de Jil Jadid, membre actif de la CNLTD, résume bien ce coup de jarnac à l'actif du militant islamiste en affirmant sans détour que son initiative a provoqué des fissures au sein d'un groupe qui ne peut se permettre, dans la conjoncture difficile que traverse le pays et compte tenu du terrain qu'il a parcouru, d'une démarche jugée aventureuse et qui est loin de faire consensus puisqu'elle n'a pas eu l'aval de ses pairs. Cette escapade que Makri, pour atténuer les critiques qui lui ont été adressées, essaye d'inscrire dans un processus de contact positif et nécessaire allant, dit-il, dans le sens des objectifs recherchés par l'opposition, traduit en réalité la fragilité organique et structurelle d'une entité de contestation qui peut vaciller à tout moment. Elle met en relief aussi les motivations individualistes de certains de ses représentants qui attendent le moment propice pour se déclarer au détriment de la solidarité du groupe avec laquelle on a juré, sur la base d'un solide compromis, de mener ensemble le combat pour l'idéal démocratique. Pourtant, de longs mois de consultation et de concertation ont été nécessaires à la CNLTD pour arriver à s'entendre sur un tarif syndical contenu dans une plateforme commune et se donner une légitimité politique pour une alternative crédible et responsable face à l'intransigeance du Pouvoir. De longs mois de persévérance et de travail sur le terrain pour convaincre l'opinion nationale et internationale du bien-fondé de cette instance qui milite pour un changement pacifique du régime et l'instauration d'un système démocratique durable en proposant des solutions fiables en conséquence. De longs mois de mobilisation et d'organisation pour arriver à une «union sacrée» jamais réalisée jusque-là qui fait asseoir autour de la même table démocrates et islamistes modérés et leur fait prendre conscience que la seule voie déterminante pour lutter contre l'autoritarisme du clan présidentiel reste l'unité et la cohésion du groupe lequel, en toute circonstance et devant les épreuves les plus improbables doit obligatoirement parler le même langage et défendre les mêmes convictions. Il faut dire que si beaucoup ne croyaient pas tellement en cette CNLTD qui avait connu les pires complexités quant à sa formation en raison des divergences idéologiques très accentuées qui s'y affrontaient et en l'absence d'une feuille de route claire et lisible, ils sont moins nombreux aujourd'hui à douter encore de son efficience et de sa détermination à aller jusqu'au bout de ses objectifs. Grâce à la sagesse conjuguée au réalisme de ses composantes et la participation d'acteurs très engagés ayant une stature politique respectable, la coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique, comme son nom l'indique, croyait ainsi avoir remporté son premier grand défi historique en se présentant comme un front uni, un interlocuteur incontournable dans son combat contre le régime et ses alliés. Jusqu'à ce jour qui voit l'un de ses membres parmi les plus impliqués dans la cause commune faire une entorse aux principes et tenter une action individuelle qui, même si elle épouse la trajectoire des buts assignés dans la charte de Zeralda, ne peut se concevoir que comme un grave manquement à la stratégie collégiale du groupe qui a plus que jamais besoin de consolider ses forces au lieu de les disperser. Lorsque Sofiane Djilalli parle de fissures, il sait de quoi il retourne, car il est plus facile de détruire que de construire ou de réparer. Et ses craintes sont d'autant plus justifiées quand on sait que ce sont encore une fois les islamistes qui sont à l'origine de ce genre de contradiction… et de manœuvre auxquelles ils nous ont habitués en surfant sur plusieurs tableaux. Makri n'a certainement pas «trahi» la cause, ce qui reste son point de vue personnel, mais en allant à la rencontre du supplétif du Président qui refuse de dialoguer avec l'opposition, il casse incontestablement une dynamique de discipline qui fait justement la force de la coordination nationale. Au demeurant, dans ses velléités de tirer à lui la couverture, comme a essayé de le faire le FFS mais dans un contexte hors regroupement de l'opposition, le leader islamiste qui nourrit lui aussi des ambitions présidentielles insoupçonnées a réveillé à l'intérieur de son parti une vieille querelle avec son adversaire de toujours, son prédécesseur à la tête du MSP, partisan acharné de l'entrisme et surtout du ralliement sans condition avec le Pouvoir, seule matrice qui compte pour exister et voir grand. Soltani a donc profité de ce faux bond de Makri pour rajouter une couche avant d'être rappelé à l'ordre par ce dernier. Mais la CNLTD estime-t-elle suffisant pour cesser de nourrir les suspicions à l'encontre de l'un de ses animateurs qui a la tête ailleurs ? Au moment où la vie politique s'emballe, où le jeu des intrigues devient de plus en plus pourri, où le sérail perd visiblement confiance, il est de bon ton pour l'opposition regroupée autour de la CNLTD de faire le point sur ses capacités à maîtriser les prétentions secrètes de certaines de ses composantes avant qu'elles ne dégénèrent. La méfiance vis-à-vis des tribulations contrôlées des islamistes qui ont généralement toujours deux fers au feu pour en tirer le meilleur bénéfice n'est pas la moindre attitude qu'il faut adopter pour éviter les mauvaises surprises que ces derniers sont capables de créer là où ils ne sont jamais attendus. Mais la grande question c'est de savoir s'il est possible d'avoir un solide contre-pouvoir démocratique avec des partis islamistes qui pensent autocratie ? Le débat est ouvert.