Vous grandissez, et là, soit vous changez de coiffeur, soit vous restez chez le même, celui de votre enfance. Bon, il vous arrive de vous absenter un peu ou longtemps de votre ville, mais quand vous y retournez, vous allez encore chez le vôtre. Celui qui connaît votre tête plus que vous, qui sait combien vous avez de cicatrices, qui, sans aucun embarras, fourre ses doigts dans votre tignasse, dans vos pellicules, qui connaît votre façon de vous coiffer, etc. Des redondances, certes, mais peut-être faudrait-il passer par là pour découvrir, (re)connaître Ammi Mustapha au quartier populaire et populeux de Bab Essouk à Guelma. Du haut de ses 77 ans, il en a vu des têtes, Ammi Mustapha, sans jeu de mots ! Cela fait plus de soixante ans que ses mains manient les ciseaux, plusieurs générations en ont entendu le cliquetis, en ont été coiffées. Depuis deux ans maintenant, le flambeau ou les ciseaux étant passés à ses enfants, quand il va bien, il coiffe deux ou trois clients par jour. Ses clients à lui, qui n'ont rien à voir les jeunes, qui, eux et leurs désirs de toupet durci par le gel, sont bien pris en charge par ses enfants. Il a commencé le métier à 14 ans. Il l'a appris aux côtés de son père dans le arch, sur les contreforts de la Mahouna, précisément à R'mel, à quelques encablures de la petite ville de Guelma. Son père était coiffeur et pratiquait aussi la saignée ou la phlébotomie. En 1958, il travaillera chez quelqu'un à Héliopolis. A la fin de cette année, refusant d'accomplir le service militaire, il s'enfuit au djebel. Deux mois après, il sera pris dans une rafle et emmené de force à Constantine devant le tribunal militaire, où il passera 8 mois dans la prison de la caserne de La Casbah. On lui fait passer la visite à Téleghma, puis on l'emmène à Chambéry, en Savoie. En 1961, il revient à Guelma et reprendra les ciseaux chez Si Kaddour Sissaoui pour un bout de temps. Ensuite, ce sera un petit salon à la place Salluste (aujourd'hui place du 20 Août) dans le quartier Bab Essouk. Il faut dire que pendant les deux mois où il était au djebel, il faisait le coiffeur, ainsi qu'en Savoie, pendant le service militaire. Les ciseaux, le peigne, le rasoir coupe-choux, la pierre à aiguiser ou un cuir, la pierre d'alun, la tondeuse manuelle de 00 à 02, le balai à cou, le nébuliseur, le blaireau, le bol de savon à barbe, le peignoir pour le client, le tablier pour le coiffeur, etc. Tout était là, c'était l'ancien temps, alors, vous voulez quelle coupe ? Brosse, demie brosse, coupe, demi-coupe ? Puis viendra la coupe Elvis Presley, ensuite celle d'Antoine avec ses longs cheveux…La période du séchoir, du lisseur… «Si tu ne manie pas bien les ciseaux, si tu ne sais pas tenir le peigne avec deux doigts, si tu ne sais pas faire la coupe au rasoir, vaut mieux changer de métier», dira-t-il. «Dans le temps, il y avait de bons coiffeurs à Guelma, je peux vous citer certains d'entre eux : vous avez Kerkoub, Zamiti Amar, Saïd Bencharfa, Le Khroubi, Mahmoud Dernaoui, Kherchiche Saïd, Benameur Salah, Saïdi Bachir, Abderrahmane Limane et bien d'autres encore. Qu'on nous excuse de ne pas les nommer tous.» A propos, notre coiffeur a gardé tous ses cheveux, (il avait à l'époque une belle chevelure noire de jais), mais, aussi bon coiffeur soit-il, il se fait coiffer lui aussi, et, bien sûr, par un confrère. Une petite confidence : si vous êtes pressé, n'allez pas chez Ammi Mustapha, sinon ne lui dites jamais : «Faites vite, je n'ai pas beaucoup de temps», car il vous répondra : «Ah, non, ne me dites pas ça, sinon je ne vous coifferai pas.» Autre chose : il arrive que quand il vous «libère», après vous avoir enlevé le peignoir, ayant terminé son travail, il vous rejoigne, les ciseaux à la main, au seuil du salon pour vous couper un cheveu qui dépasse. Surtout, restez cool, ne vous énervez pas. Que faire ? Il est ainsi Ammi Mustapha, on ne peut pas le changer.