En voulant donner une chance aux tenants de l'informel de s'insérer dans la légalité via les banques, le gouvernement prend le risque de voir des fonds provenant de gros trafics passer entre les mailles du filet et blanchis sans autre forme de poursuites. Le gouvernement a-t-il les moyens de barrer la route au blanchiment d'argent dans le cadre de la mesure qui vient d'être incluse dans la loi de finances complémentaire 2015 (LFC 2019) en vue de bancariser l'argent provenant des activités informelles ? Ne cède-t-il pas, par ailleurs, aux barons de l'informel en leur concédant une amnistie fiscale déguisée ? Des questions qui se posent au vu de la célérité avec laquelle l'Exécutif annonce la mise en œuvre de la mesure en instruisant les banques de récupérer un maximum d'argent en un laps de temps plutôt court après des années de laisser-aller. Taxation «dérisoire» A travers la mise en œuvre annoncée de la LFC 2015, le gouvernement tente en fait de mener une importante opération d'assainissement de la sphère informelle qui recèle, selon les chiffres officiels, 3700 milliards de dinars. Une initiative censée donner l'occasion aux tenants de l'économie parallèle de s'insérer dans la légalité via le circuit bancaire, en s'engageant à payer une taxe forfaitaire libératoire de 7%. Au vu des fortunes amassées en toute illégalité pendant des années, alors que des entrepreneurs aux activités dûment déclarées se sont saignés pour honorer leurs engagements fiscaux, la taxation paraît dérisoire. L'opération, qui démarrera dès la mi-août, vise à récupérer, selon les déclarations du Premier ministre, «700 à 1000 milliards de dinars en quelques mois». Selon le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, «en 2017, nous devrions avoir une seule économie algérienne et non deux : formelle et informelle» grâce à une mesure «bénéfique à la fois pour ces détenteurs de capitaux et pour l'économie nationale». En annonçant la mesure au lendemain de l'adoption par le Conseil des ministres de la LFC 2015, Abdelmalek Sellal a clairement exclu de cette opération, l'argent sale provenant du terrorisme et des différents trafics, dont celui de la drogue. Il a notamment souligné que, contrairement aux tenants des filières criminelles, les entreprises qui activent au noir ne sont pas «illicites» mais seulement «informelles». Quelle traçabilité pour les fonds ? Reste à savoir comment compte s'y prendre le gouvernement pour faire le distinguo entre l'argent de l'informel et celui de du terrorisme ou de la drogue et comment les banquiers mobilisés pour attirer et mettre en confiance les opérateurs activant au noir pourront juger de la provenance de l'argent qui leur sera remis… Dans une interview à l'APS, le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa a déclaré : «nous avons assisté, durant ces 15 à 20 dernières années, à une intense activité. Et c'est le moment de ramasser maintenant cet argent», a-t-il insisté. L'intense activité informelle dont parle M. Benkhalfa est justement indissociable, dans beaucoup de cas, de celle des circuits mafieux qui ont proliféré ces vingt dernières années, profitant d'une situation sécuritaire difficile, de l'absence de l'Etat et de sa totale démission face à l'émergence des barons de l'informel dans de multiples points noirs à travers le pays, leur laissant toute latitude de faire fructifier l'argent illicite. Un lourd passif qui rend aujourd'hui difficile de démêler l'écheveau de l'informel entre argent sale et argent amassé dans des activités commerciales diverses sans déclaration aux impôts. Le gouvernement semble éluder les questionnements sur les capacités de l'Etat à mener à bien la mesure en axant d'abord sur l'urgence d'assainir la sphère économique et de redonner à l'Etat son plein droit de contrôle sur toutes les activités économiques. La précipitation du gouvernement dans cette démarche inédite pourrait pourtant être une occasion en or pour les criminels de profiter pleinement de la bénédiction de l'Etat pour blanchir leur argent en toute quiétude. Pour sa part, le gouvernement, en position difficile suite à la baisse des revenus des hydrocarbures, donne l'impression de se cramponner à une démarche hasardeuse, qui aurait mérité pourtant d'être tempérée pour donner plus de visibilité sur les profils des détenteurs de capitaux et la provenance de ceux-ci, et pour ne pas encourager les fraudeurs et les criminels dans leur défiance vis-à-vis de l'Etat.