Disparue en 2014, la grande écrivaine algérienne n'a pas fini de fasciner lecteurs et lectrices en Algérie et dans le monde. Son œuvre polyphonique et complexe offre plusieurs portes d'entrée. Le recueil Lire Assia Djebar !, qui vient de paraître aux éditions Sedia, propose justement quelques pistes de lecture partagées par des chercheurs en littérature ainsi que des lecteurs réunis par le même intérêt pour une œuvre passionnante. «Je peux affirmer aujourd'hui que l'œuvre d'Assia Djebar me permet petit à petit de me réconcilier avec mon histoire et ma mémoire, et par conséquent, avec moi-même», telle est la confession d'Amel Chouati, lectrice invétérée de l'œuvre de Djebar et initiatrice de cet ouvrage collectif. Les témoignages se succèdent ainsi dans des textes qui allient la rigueur de la démarche au plaisir du texte sans lequel la lecture se réduirait à une plate mécanique de déchiffrage. On lira avec intérêt le texte d'Hervé Sanson racontant sa lecture de trois romans (L'Amour, la fantasia ; Vaste est la prison et Nulle part dans la maison de mon père) tout en «jouant» avec des citations de ces récits. Anne Donadey, professeur de lettres modernes à l'université de San Diego, raconte pour sa part son parcours de lecture à travers les thèmes omniprésents du plurilinguisme et de la situation de la femme. Ces préoccupations n'ont pas laissé de marbre les lecteurs japonais, découvrant l'œuvre grâce à une traduction de Kiyoko Ishikawa. La thématique universelle de la transgression permet à Hibo Moumin Assoweh de jeter des passerelles entre les romans d'Assia Djebar et ceux de l'écrivain djiboutien Abdourahman Waberi. La langue particulière d'Assia Djebar, qui lui a ouvert les portes de l'Académie française, est évoquée par le comédien Patrick Potot, racontant son expérience d'une lecture publique. Ecriture du dévoilement, l'œuvre de Djebar est aussi une plongée dans l'histoire. Cette double dimension est analysée par Max Vega-Ritter dans Nulle part dans la maison de mon père. Dernière parution de l'écrivaine, ce récit grandement autobiographique est aussi une réflexion sur la dépossession culturelle de la colonisation et la dure émancipation face au poids des traditions. Conjuguant la sincérité du témoignage et la précision de l'analyse historique, ses textes sont les compagnons de bien des lecteurs en quête d'une identité minorée. Sonia Amazit, née en France de parents émigrés, raconte sa découverte des «femmes algériennes, recluses, guerrières, maquisardes…», ces voix féminines qui racontent une autre histoire, plus humaine, dans les interstices des récits officiels. Cette quête de la parole juste est expliquée par l'auteure dans une très belle interview accordée à Wassyla Tamzali à propos du film Nouba des femmes du mont Chenoua (1979). Evoquant les raisons qui l'ont amenée à prendre la caméra après une longue éclipse littéraire, elle se rappelle des conversations avec les paysannes «capables de vous résumer des océans de douleur avec des mots très sobres, très secs…». Le film, primé à la Biennale de Venise 1979, est une puissante mise en image de ces témoignages de femmes. Lire Assia Djebar ! a été publié une première fois en France, en 2012, aux éditions La Cheminante. La réédition algérienne chez Sedia a coïncidé avec le Festival international de la littérature et du livre de jeunesse (du 23 au 29 juillet). L'ouvrage est d'un intérêt certain pour les universitaires ainsi que pour tous les lecteurs qui veulent en savoir plus sur cette grande figure de la littérature algérienne.