La voix des « damnés de la terre » est en train de s'éteindre doucement, sans bruit, ni trompettes. Le mouvement des non-alignés, qui a porté très haut la revendication des peuples du Tiers-Monde, se meurt de sa belle mort, parce que le monde a changé. Des dirigeants tiers-mondistes, en continuant à se réunir, entretiennent on ne sait pourquoi, une fiction, une utopie qui n'a plus de raison d'être. Lorsqu'il est né en 1956 à Bandoeng (Indonésie), le mouvement, appelé à l'époque Conférence afro-asiatique, portait en lui les espoirs de tous les peuples opprimés. Né en pleine guerre froide, il avait proclamé son « neutralisme » positif, à équidistance des deux super-grands, les Etats-Unis et l'URSS. Il y avait là des personnages illustres auxquels s'identifiaient les peuples colonisés. Ils s'appelaient Nehru pour l'Inde, Gamel Abdel Nasser pour l'Egypte, Josip Broz Tito pour la Yougoslavie, Chou En-lai pour la Chine et... une délégation algérienne conduite par deux jeunes et fougueux Algériens, Hocine Aït Ahmed et M'hammed Yazid. Le non- alignement venait de naître, même s'il ne portait pas encore son nom. C'est à Belgrade, en 1960, qu'il acquerra ses lettres de noblesse. Indifférent d'abord, le monde des puissants commence à s'intéresser à lui. C'est qu'il est porteur de valeurs que l'Occident a superbement ignorées : décolonisation, développement, indépendance nationale, désarmement. Il est devenu un partenaire incontournable, respecté, écouté. Ses résolutions étaient prises très au sérieux, étudiées, disséquées. Les grands lui faisaient la cour. Chacune de ses conférences drainait des centaines de journalistes et faisait la une des journaux. Les non-alignés ont su exploiter avec habileté les divergences entre les superpuissances, s'imposant comme partenaire incontournable sur la scène internationale. Mais tout a une fin. A la fin des années 1970, l'une des raisons qui ont été à l'origine de leur naissance a disparu. En effet, la nette majorité des peuples colonisés avait accédé à l'indépendance. Mais c'est surtout 1988 qui allait sonner le glas pour le mouvement. Le Mur de Berlin était tombé, entraînant dans sa chute le bloc soviétique. Un monde unipolaire , dominé par la superpuissance américaine, vient de naître. Faute de changer de stratégie, le non-alignement se met à ronronner. Il perd peu à peu de son influence. Aujourd'hui, elle est quasiment nulle. Il n'attire pas les foules quand ses dirigeants se réunissent. Les riches n'ont plus besoin de le courtiser. On le voit à La Havane. Le sommet qui s'y déroule est un non-événement. Les chaînes de télévision nous parlent bien volontiers de la dernière vedette du tennis, mais pas un mot du conclave de la capitale cubaine. Les temps ont changé et il est temps de tirer les conclusions qui s'imposent avant de sombrer dans le ridicule. Il a bien accompli sa mission.