L'histoire est simple comme la vie que mène Bachir (le héros de la pièce) au quotidien. Employé dans un journal, il vit en retrait d'une société dont il n'apprécie guère les humeurs, jusqu'au jour où la ville s'agite sur les rumeurs d'apparitions de bêtes féroces. La polémique s'installe et s'amplifie. La problématique devient très sérieuse. Il s'agit bel et bien de bêtes qui écrasent les chats. Des questions se posent et le problème devient un sujet philosophique. L'existence de ces bêtes est-elle logique ? S'agit-il d'une bête ou de deux bêtes, ou bien de la même bête apparue deux fois ? Cette bête a-t-elle des cornes ? Le débat s'anime, les philosophes s'y impliquent et cela devient une question sérieuse. Ce débat se transpose au journal où travaille Bachir, pour figurer dans la rubrique des chats écrasés. Un canard au personnel déchaîné, tenu par un barbu qui ne se sépare pas de son chapelet. Les événements s'accélèrent et les bêtes se multiplient et envahissent la ville. C'est la panique. Bachir, pris dans la tourmente, découvre que son fidèle ami Djaâfar s'est transformé brusquement en bête. Même ses collègues au journal, ses voisins, le philosophe, enfin tout le monde. Une véritable épidémie de istihouach (en référence à haïcha, qui veut dire bête en arabe) se propage. Bachir ne comprend rien. Il vit un véritable cauchemar. Mais Bachir tente de résister, grâce à son amour pour Hamama. Un amour qui le réconforte. Mais Hamama ne résistera pas à son tour. Elle est emportée aussi par l'épidémie. Tout le monde a perdu son humanité. Seul Bachir résiste. Il veut rester humain et ne pas devenir une bête. Adaptée et mise en scène par Mohamed Cherchel, d'après l'œuvre d'Eugène Ionesco Rhinocéros, El Haïcha, dernière production du théâtre Mahieddine Bachtarzi, présentée vendredi au Théâtre régional de Constantine, a été une véritable innovation sur les plans technique et artistique. L'œuvre de Ionesco, créée à une époque marquée par la montée des régimes totalitaires dans les années 1950, demeure toujours d'actualité. Mohamed Cherchel a eu le génie de l'adapter à notre époque sous forme de critique sociale. La «rhinocérite» citée dans la pièce de Ionesco est une épidémie qui règne encore sous d'autres formes, dans une société gangrenée par la perte des valeurs, l'hypocrisie, la haine, l'individualisme, l'égoïsme et le matérialisme. Des choses qui paraissent normales de nos jours. La pièce, sorte de relecture sociale de l'œuvre de Ionesco, est agrémentée de belles chorégraphies, avec un jeu correct des comédiens et un dialogue bien étudié. Elle a pour principale originalité ce décor à trois niveaux, construit tel un «échafaudage social» où les scènes s'enchaînent à un rythme effréné. La pièce El Haïcha est à voir absolument, rien que pour méditer sur la condition de l'homme «contemporain».