La nouvelle pièce «El Haïcha» (La bête), jouée en représentation générale jeudi au Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi (TNA), est une satire sociale transposée de l'oeuvre d'Eugène Ionesco qui a pour thématique «la bêtise humaine». Adaptée de l'oeuvre «Rhinocéros» du dramaturge et écrivain Eugène Ionesco et brillamment mise en scène par Mohamed Cherchel, la pièce d'une durée d'une heure et demie, a été accueillie avec succès et satisfaction par un public venu nombreux assister au spectacle. Si dans l'oeuvre originale l'auteur dénonçait les régimes totalitaires, le nazisme surtout, «El Haïcha» fait procès de l'idiotie, dénonce la «bestialité» et appelle à ériger la sagesse et le raisonnement en ligne de conduite. Le metteur en scène a réussi à explorer tous les aspects (thématique, scénique, chorégraphique) de l'oeuvre originale, à la transposer sur les planches et surtout à l'adapter au contexte actuel. La pièce, alliant parfaitement les registres comique, pathétique et satirique, met au devant de la scène les péripéties et le désarroi de Bachir qui a choisi l'isolement dans une société devenue insupportable. Licencier en droit, le personnage de Bachir est incarné avec succès par le comédien Tarek Bouarara qui, souvent sage et "ivre", parfois drôle, a refusé d'appartenir à une société atteinte d'"animalerie" qui a gagné toute une ville. Tout commence par les échos et les cris de ces bêtes venant d'hors-scène faisant entendre l'existence d'animaux qui envahissent la ville, lorsque la ménagère (rôle incarné par Adila Soualem) fait son entrée sur scène avec son chaton écrasé. Furieuse, la jeune mondaine Demoiselle comme elle se plait à s'appeler, se plaint et dénonce la présence d'une «Haïcha» dans la ville. Les bêtes commençaient progressivement à envahir la ville et ses habitants, inquiets dans un premier temps, ont fini par se transformer, les uns après les autres, en bêtes, à l'exception de Bachir qui a fait preuve de résistance et refusait de se laisser faire. Bachir, résolument convaincu de ne pas suivre la société à laquelle il appartenait, tentait en vain, de faire convaincre ses congénères, qu'ils sont bien des «êtres humains» et de se comporter en tels. Peine perdue pour Bachir que les habitants de cette ville, devenus «bestiaux», traitaient d'ivrogne. «Vous êtes des êtres humains, vous n'êtes pas des animaux», a-t-il lancé à l'adresse de ses voisins, atteints de bestialité et devenus agressifs et violents. Le fait que les habitants de la ville se transforment en créatures bestiales, constituent l'une des intrigues de cette pièce. Le jeu des comédiens était parfait et adapté au registre de la tragicomédie, alternant entre burlesque, comique, pathétique et même le guignol. Jeunes, pour la plupart d'entres eux, les comédiens ont suscité de l'admiration et de l'empathie du public qui, subjugué et satisfait, répondait par des applaudissements qui fusaient dans la salle. Le langage -riche en métaphore- dans lequel est livré le spectacle, à savoir l'arabe dialectal, était un choix réfléchi par le metteur en scène qui, tenant compte du public ciblé, a pu toucher les férus du 4e art avec un langage compréhensible et ironique. Le metteur en scène a puisé dans le terroir algérien en usant de métaphore et surtout de vocabulaire très expressif en rapport avec la thématique de la pièce. Côté esthétique, le décor aussi bien figuratif que recherché, donne une valeur ajoutée à la thématique traitée. Sur le plateau, des éléments de décor très illustratifs renseignent sur la rigueur du metteur en scène et accrochent le spectateur. Une épicerie, une cafétéria, deux tables, des chaises, un lampadaire éteint font le décor du premier acte de ce spectacle pour, ensuite, laisser place dans l'acte suivant à un endroit qui fait office d'un cabaret. Dans le troisième acte de cette pièce, le décor est réduit à une pièce (chambre de Bachir), équipée d'un lit à allure d'hôpital. La déchéance et l'effondrement de la ville étaient parfaitement illustrés et représentés à travers la destruction et le rétrécissement de l'espace scénique réduit à une pièce aux portes et fenêtres fermées. La notion espace-temps était également présente et soigneusement illustrée à travers l'alternance du jour et de la nuit par la lumière (lampadaire), le déplacement par le changement des décors illustrés par les escaliers, fenêtres, et lit. Plusieurs artistes et figures du théâtre et du cinéma, ont assisté à la générale de cette pièce nouvellement produite par le TNA dans le cadre de la manifestation « Constantine, capitale de la culture arabe 2015». Représentant de la ministre de la Culture, Atmani Nouredine a lu un message en son nom, dans lequel il a souligné que «la pièce El Haïcha met en évidence l'atteinte et la calomnie», appelant à ce propos à adopter la sagesse et les valeurs humaines comme ligne de conduite. La pièce «El Haïcha» sera en compétition à la 10e édition du Festival national du théâtre professionnel (FNTP) prévu fin mai.