La légende raconte qu'autrefois, les artisans bijoutiers d'Ath Yenni refusaient de marier leurs filles à l'extérieur de la région de peur de voir la «recette» secrète de fabrication divulguée. Reflet d'identité et créatrice d'emplois, l'orfèvrerie locale est jalousement sauvegardée par la population. Ici, l'art de l'argent se transmet de père en fils. Une fête lui est dédiée chaque année dans une ambiance conviviale, alliant créativité et «business». La 12e édition, qui se tient du 30 juillet au 7 août, est placée sous le thème «Le bijou d'Ath Yenni, un art et une économie». Pas moins de 130 artisans venus de dix wilayas participent à cette manifestation initiée par le comité local des fêtes. Au delà de son aspect folklorique, cette rencontre insuffle une dynamique économique pour cette commune déshéritée de haute montagne qui enregistre un exode rural massif. Sur 6000 habitants recensés officiellement, plus de la moitié a déménagé. «La bijouterie traditionnelle est notre seule économie. Hormis quelques petites entreprises de bâtiment, nous n'avons pas d'autre secteur pourvoyeur d'emploi pour nos chômeurs. Pas moins de 95 bijoutiers d'Ath Yenni prennent part à cette fête qui est d'un grand apport pour la région sur les plans financier et touristique. Tout le monde y trouve son compte : durant cette période de l'année, les différents secteurs d'activité font des bénéfices. En 2014, 40 000 tickets d'accès aux sites d'exposition (10 DA par personne) ont été dénombrés. On a reçu même des touristes étrangers. Une belle opportunité pour l'amélioration de l'image de la région», nous dit le jeune président de l'APC d'Ath Yenni, Smaïl Deghoul. «La fête du bijou booste l'économie touristique. Le choix de la saison estivale pour l'organisation de cette manifestation, qui draine de plus en plus de visiteurs, n'est pas fortuit. C'est un rendez-vous incontournable où les citoyens s'approvisionnent en produits de l'artisanat. C'est aussi une opportunité de rentrées d'argent pour les artisans, les commerçants et autres intervenants dans l'organisation de l'activité», souligne le directeur de wilaya du tourisme, Rachid Ghedouchi. «De nombreux émigrés planifient leur congé en fonction de la tenue de la fête du bijou, qui constitue une bouffée d'oxygène pour nos artisans dont l'activité reste timide le reste de l'année. L'affluence de visiteurs constatée ces dernières éditions a eu des retombées économiques et financières sur les habitants», fait remarquer, pour sa part, Mokrane Aouiche, membre du comité d'organisation. «Cette fête consacre le lien ombilical qui existe entre la région et son histoire, à savoir le bijou, sachant que la région d'Ath Yenni constitue l'espace par excellence de cet art. Ce travail de mémoire réconcilie la population avec son histoire. Cette dernière, avec sa réhabilitation, prépare l'avenir que nous souhaitons heureux et prospère», analyse le sénateur Moussa Tamardaza, que nous avons rencontré sur les lieux. La vente de bijoux constitue une rente pécuniaire inestimable pour les artisans qui attendent cette manifestation avec impatience. La demande est forte malgré les prix affichés. De plus en plus de jeunes filles s'intéressent au bijou kabyle. «Nous travaillons surtout durant cette période de l'année. La cherté et la rareté des matières premières utilisées ne nous facilitent pas la tâche. L'argent est à 11 000 DA/kg et le corail est cédé au marché noir à 40 millions le kilo», relève Noura Bensaid, bijoutière à Ath Yenni depuis 20 ans. Les impacts positifs de la fête du bijou profitent également aux jeunes garçons et filles de la commune qui y trouvent un bon filon pour gagner un peu d'argent en ces temps de disette. Reconnaissables à leur tee-shirt et casquette à l'effigie de la manifestation, ils sont partout, dans les ruelles étroites du chef-lieu communal et sur les sites d'exposition. Ils assurent l'accueil, la vigilance, l'orientation des visiteurs, la garde des parkings. «Nous sommes 80 à être recrutés par l'APC. Nous travaillons de 8h à 20h pour la modique somme de 3000 DA. Nous n'avons rien ici pour espérer un poste d'emploi permanent. Le chômage nous ronge. La commune dispose de locaux commerciaux au village Taourirt El Hadjaj, mais l'APC tarde à les distribuer. J'aimerais travailler comme vendeur de fruits et légumes», nous confie un jeune recruté dans le cadre de ce festival. Malgré un chômage endémique, peu de jeunes de la localité optent pour le métier de leurs ancêtres, a-t-on appris. Pour la relance de la formation dans ce secteur, une nouvelle spécialité en bijouterie traditionnelle sera ouverte à la prochaine rentrée au CFPA du village Agouni Ahmed d'Ath Yenni.