En visite dans la ville allemande de Ratisbonne, le pape Benoît XVI y a prononcé un discours sur la raison et la violence en Islam dont la teneur est de nature à créer une nouvelle onde de choc dans le monde musulman alors que les remous de l'affaire des caricatures ne sont pas tout à fait dissipés. Le chef suprême de l'Eglise catholique a tenu sur l'Islam et sur son Prophète des propos dont la virulence surprend d'autant plus chez une personnalité de ce rang, que Benoît XVI fonde sa théorie sur la violence de la sphère musulmane sur un texte de Manuel II Paléologue, cet empereur byzantin qui, il y a plus de sept siècles, avait écrit La 7e controverse, ouvrage polémique dans lequel il attaquait l'Islam parce qu'il était la religion des Ottomans qui l'avaient emprisonné et déstabilisé son règne tourmenté. En quoi les théories d'un empereur byzantin, aigri et revanchard du XIIIe siècle, peuvent-ils constituer une vérité absolue en 2001. Dans la bouche d'un dignitaire de l'église, et à plus forte raison dans celle du pape lui-même, ces théories sur la cruauté supposée de l'Islam ont forcément des accents de provocation gratuite. En tant que chef d'Etat du Vatican, Benoît XVI, par ailleurs rompu aux subtilités de la diplomatie et à ses connexions avec une actualité explosive, était tenu à montrer une nécessaire réserve sur un thème, la foi des uns et des autres, toujours ouvert à des dérapages dangereux. Car, enfin, la question peut se poser : était-ce une priorité exclusive pour le pape que de faire part de ses réflexions sur l'Islam alors que sans doute le peuple catholique attend de lui qu'il ouvre les grands chantiers auxquels appelle le devenir d'une église menacée par la durable crise de la vocation et harcelée pour engager des réformes sur le célibat des prêtres, l'interruption volontaire de grossesse et d'autres dossiers restés en suspens après la disparition de Jean-Paul II. Chacun pourra penser que le pape fait de la fuite en avant, de la diversion, en s'attaquant à l'Islam faute d'avoir trouvé les mots pour apaiser les angoisses des catholiques, jeunes et vieux, dont il a la charge morale et spirituelle. Il est de son devoir, à ce titre, de peser de toute son influence pour rapprocher les hommes de toutes confessions dans ce monde par les liens de la compréhension et de la tolérance. Le dessein de Benoît XVI est-il, au contraire, d'attiser les antagonismes, de favoriser une guerre de religions, et au bout un choc des civilisations qui renverra l'humanité toute entière à la case départ. Beaucoup ne manqueront pas de dire qu'en se laissant aller à une diatribe incendiaire contre l'Islam, Benoît XVI a raté une belle occasion de se taire. Les mots qu'il a dits n'auraient alors pas dépassé sa pensée.