«Les Algériens tournent le dos à la mer». Sentence ô combien rebattue censée résumer le rapport des Algériens à la grande bleue. Aujourd'hui encore, la formule fait florès. A Alger, la mer ne serait ainsi qu'un «trompe-l'œil». Longtemps, effectivement, le littoral n'était qu'un décor dans notre imaginaire urbanistique. Au mieux, la mer ne valait que par ses promesses d'évasion sur le mode «harraga». Pourtant, en y regardant de plus près, on verra que tout n'est pas gris, et que même s'il est vrai qu'il y a encore un gros travail à accomplir en matière d'environnement, de qualité de prestations, de mentalités, de civisme, de restauration, de liberté d'accès à «l'espace public maritime», notre rapport à la mer est en train de changer. Saison estivale oblige, l'image dominante, en l'occurrence, est évidemment celle du rush sur la moindre parcelle de grève. Et les «plages urbaines», c'est-à-dire celles situées à l'intérieur ou à quelques encablures des agglomérations urbaines, ont un succès fou du fait, principalement, de leur proximité. A bien y voir, nous sommes en face d'un «haliotropisme» croissant, autrement dit un puissant attrait des populations pour les zones côtières. Et cela se traduit physiquement et géographiquement déjà par la très forte densité démographique dans les bandes maritimes et au long du littoral au point de donner le sentiment que le reste du pays, toutes ces étendues désertiques et désertées, laissées en rade, ne font pas partie du même territoire. De fait, cet «entassement» en soi près de la mer dans notre cartographie sédentaire est le premier signe de cette proximité «atavique» avec la mer. «Après tout, et les gens semblent l'oublier, nous étions des corsaires. Nous étions les patrons de la Méditerranée, et les puissances navales de l'époque nous payaient un droit de passage», fait remarquer un pêcheur à la ligne rencontré à Raïs Hamidou. Justement, la popularité de ce hobby qu'est la pêche à la ligne est un autre symbole ritualisé de cette relation très forte avec la «Mare Nostrum». Captain Morgan pour vous sauver de la «circulation» Le succès populaire des balades maritimes et autres sorties en mer, comme cela se fait à Tipasa (voir reportage) en est une autre expression. Mais la meilleure chose qui nous soit arrivée ces deux dernières années en termes de transport maritime urbain s'appelle Captain Morgan, du nom de ce «bateau-bus» qui assure la liaison La Pêcherie-Port d'ElbDjemila (La Madrague) pour seulement 50 DA le ticket. Leur succès est tel qu'un deuxième ferry-boat a été affrété par l'ENTMV pour renforcer cette liaison maritime, avec une capacité globale de 670 passagers. Cela, en attendant l'ouverture d'une autre navette en direction de Tamentfoust (La Pérouse). Et en attendant surtout le lancement du cabotage maritime qui offrira une sacrée bouffée d'oxygène à la capitale, au lieu de multiplier les trémies et les bretelles-spaghettis. Ainsi, pour un certain nombre de raisons «structurelles», la mer est en train de revenir progressivement et positivement dans nos villes comme une marée haute «bénigne», avec, à la clé, toutes sortes d'équipements, de pratiques, de rituels, faisant des urbanités liées au littoral des espaces publics susceptibles d'être investis socialement. Et cet investissement (au sens d'occupation d'un territoire) s'opère, comme on peut le constater, sur deux niveaux : d'un côté, en tirant directement profit de la mer, «les pieds dans l'eau», c'est-à-dire comme plaisir balnéaire à l'état pur, et ce, notamment grâce à l'ouverture d'un nombre croissant de plages des communes de l'Algérois à la baignade (70 en 2015 contre 46 en 2007). De l'autre, en occupant les bords de mer par toutes sortes d'activités récréatives, foraines et de loisirs. Il faut dire que la mer offre un confort visuel inégalable. A ce titre, elle fonctionne comme un puissant «objet visuel», comme «élément scénographique» naturel qui se tient tout seul, même sans les commodités inhérentes aux stations balnéaires. Un espace d'autant plus utile en l'absence de parcs, de jardins publics et autres espaces de détente accessibles à tous, en dehors des quelques jardins souffreteux de la capitale. Le littoral urbain constitue, dès lors, une énorme bouffée d'aération à une ville sonnée par la canicule, la pollution et les embouteillages. Les plages urbaines au secours des «non-aoûtiens» Tout le monde n'a pas la chance de s'offrir des vacances en ce mois d'août, et quand bien même un salarié prendrait-il un congé, en ce mois de farniente sur le papier, «congé» n'est pas toujours synonyme de «vacances». Au vu des tarifs pratiqués, il faudrait carrément un prêt Ansej ou une loi de finances complémentaire pour se permettre une semaine dans le plus minable de nos complexes touristiques. Et la Tunisie reste une destination onéreuse pour la plupart des ménages, même à titre solidaire. D'où l'engouement pour les «plages urbaines» auxquelles on peut se rendre même en bus. Ainsi, pour tous les galériens qui ne font pas partie des heureux aoûtiens, cela reste très flexible : de petites pauses de détente à la sauvette, après le travail, ou une petite escapade le week-end sans avoir à se saigner pour aller s'offrir des vacances improbables dans l'une de ces destinations touristiques très courues en été. En faisant du «micro zonage» à travers les plages du littoral algérois, force est de constater que les estivants investissent à fond ces plages urbaines qui s'étendent, en gros, de oued Mazafran à oued Réghaïa. Nous parlions, tantôt, des facteurs «structurels» qui ont permis cette avancée dans la mer. Outre les grands aménagements opérés sur le front de mer (à l'exemple des Sablettes), la gratuité du «service public balnéaire», la disponibilité d'une plus grande surface maritime, il convient de citer aussi un autre élément déterminant : la mobilité. De plus en plus de ménages disposent d'au moins un véhicule. Et même pour ceux qui ne sont pas motorisés, le renforcement et la modernisation du réseau urbain de transport collectif permet aujourd'hui d'aller en «tram» à la plage. Ce dont beaucoup d'estivants de la banlieue d'Alger ne se privent pas. Aller en tram à la mer Ligne de tramway Ruisseau-Dergana. Station de Bordj El Kiffan. 17h passées. Un groupe de gamins, dans les 12-14 ans, monte dans un brouhaha festif. En short et portant des tongs, le teint hâlé, les cheveux encore trempés, il ne fait aucun doute qu'ils reviennent de la plage. Ils nous rappellent d'emblée les petits héros gouailleurs du film Loubia Hamra de Narimane Mari. L'un d'eux a le torse couvert juste d'une serviette de bain jetée sur les épaules. Inutile de préciser qu'ils voyagent «batolis». Ils descendront quelques stations plus tard, du côté de la cité du 5 Juillet, à Bab-Ezzouar. Ils ne sont pas les seuls à emprunter le tram pour se rendre à la plage. Du fait de sa proximité et des commodités qu'elle offre, la «plage urbaine» de Bordj ElnKiffan est l'une des plus prisées du littoral algérois. La station de tramway est à 200 m à peine de la mer. Plusieurs passagers, un bob sur la tête, en mules, short ou pantacourt, descendent du tram en provenance des quartiers environnants, accompagnés de leurs enfants, avant de gagner les plages Sirène I et II. «Moi, j'habite à Aïn Taya. Je suis obligé de venir en voiture et c'est infernal en été. Mais des fois, je fais, en partie, le trajet en tram et c'est très pratique», confie Sid Ahmed, rencontré aux abords de la plage Sirène II. La petite anse protégée par une digue artificielle grouille littéralement de monde malgré le drapeau orange qui flotte pour signaler une eau plutôt nerveuse. Dressé sur un promontoire, Sid Ahmed jette un œil scrutateur vers la plage : «Mes filles sont en train de se baigner là-bas», lâche-t-il les mains en casquette pour se protéger les yeux d'un soleil insolent. «Je préfère ramener les enfants ici. C'est tranquille, le site est sécurisé. C'est à côté de chez moi, et ça ne coûte pas cher. Pourquoi aller louer à 10 millions de centimes et tu n'es même pas satisfait ?» Sid Ahmed gère un petit Quatre Saisons près de la plage. Avec la forte affluence estivale, il travaille bien. «Mais il faut voir surtout le soir. C'est la folie ! Les gens viennent de toute la région. Certains viennent même de Tizi», affirme-t-il. «Fort-de-L'eau est vivante été comme hiver. Il y a de l'ambiance toute l'année. D'ailleurs, je vais continuer à assurer le service après l'été», promet-il. «Les gens n'ont pas où aller» Le front de mer de Bordj El Kiffan est une longue promenade d'environ 1 km ponctuée de bassins d'eau balisés par des brise-lames en forme de T. Une haie de palmiers tout frais est plantée tout au long de la promenade. Il faut noter que le site tout entier connaît des mutations à grande échelle. «Il n'y avait pas tout ça avant», témoigne un habitué des lieux. « Fort-de-L'eau a toujours été une ville coquette et animée. Mais la plupart des bars ont été contraints de fermer, et des petits bouis-bouis sont en train de pousser un peu partout pour meubler», poursuit-il. Des hôtels, des restaurants, des terrasses, des crèmeries, des aires de jeux pour enfants poussent un peu partout pour répondre à la demande d'une nouvelle clientèle estampillée «familiale». Autour de la plage, des petites buvettes meublées de tables en plastique proposent boissons fraîches, beignets et m'hadjeb dans une ambiance festive à dominante raï. Walid, 25-26 ans, gérant d'un petit commerce du côté du Lido (dont la plage est interdite à la baignade), est venu lui aussi faire trempette accompagné de son cousin. Croisé au bord de la plage Sirène 1, à l'ombre d'un hôtel en travaux, il n'est pas très emballé par la fièvre estivale et pose un regard assez critique sur ce «tourisme balnéaire bas de gamme». «Je viens ici juste parce que c'est pratique pour moi», précise-t-il. «Tout cela, c'est bien, mais il y a trop de monde. Et puis, il y a trop de saleté», maugrée-t-il. Le tramway ? «C'est très commode, OK, mais d'un autre côté, il faut dire que ça a donné un coup de frein aux commerces de l'artère principale. Beaucoup ont dû baisser rideau», tempère-t-il. Et de confier : «De toute façon, moi, mes plages préférées sont hors d'Alger. J'aime plutôt El Belj (Chenoua), Béni Haoua, à l'ouest, ou bien Jijel, à l'est. C'est plus propre et il y a moins de ‘‘hamadj''. Mais on se contente de ce qu'on a. Les gens n'ont pas où aller.» Tourisme d'affaires Comme un symbole des grandes transformations urbaines et du boom immobilier que connaît la capitale, et notamment Alger-Est, entre centres commerciaux, forêts de cités AADL, ligne de tramway, sièges sociaux de grandes entreprises, hôtels de luxe, zones sous douane, services aéroportuaires, «zone d'affaires internationale» de Bab Ezzouar, on peut apercevoir à l'horizon, depuis les plages de Bordj El Kiffan, les nouvelles tours qui montent près de l'hôtel Hilton, et qui réverbèrent tel un mirage de verre. «C'est l'AADL des généraux», lâche un plaisantin. Ce sont en réalité les nouvelles tours d'affaires de l'ensemble «City Center». Elles font partie du projet Alger Médina. La restructuration du Front de mer d'Alger-Est ne serait ainsi qu'une pièce du puzzle, l'objectif étant de «nettoyer» la façade maritime de façon à hisser l'offre balnéaire au niveau des attentes de ces nouvelles clientèles (dont pas mal d'étrangers) drainées par ces nouvelles entités économiques et autres enseignes commerciales. «Il y a de plus en plus d'étrangers qui travaillent avec les entreprises implantées dans cette zone, qui descendent dans les hôtels du coin, que ce soit ici ou à Bab Ezzouar. Moi-même j'ai été souvent contacté pour leur conseiller un hôtel. Et je ne parle pas des 4-5 étoiles. Il y a un tas d'autres hôtels, des 2-3 étoiles, qui sont disséminés par ici, et qui sont très demandés. D'ailleurs, les hôtels de moyenne gamme sont la base du développement touristique», témoigne Walid. De fait, il y a tout un «tourisme d'affaires» qui a pris place ces dernières années, et les investisseurs dans le secteur de l'hôtellerie l'ont parfaitement compris à l'instar de Djillali Mehri qui a investi dans les chaînes Ibis et Novotel en partenariat avec le groupe Accor. La Baie d'Alger bientôt saturée Ardis. Plage Mazéla, commune de Mohamadia. Bien qu'officiellement interdite à la baignade, cette plage de 800m est très prisée, essentiellement par les habitants issus des quartiers voisins. Là, on est au cœur du projet Alger Medina. Les fameuses tours qui nous apparaissaient de loin comme un mirage de verre sont maintenant toutes proches et écrasent le paysage. L'une d'elles (Algeria Business Center) est fonctionnelle depuis une dizaine d'années. «Depuis 2005, cette tour abrite le siège algérien d'une cinquantaine de firmes internationales. Les travaux de réalisation des deux autres tours de bureaux ‘‘Tours Oslo et Genava'' sont en cours, elles seront livrées au courant du second semestre de l'année 2016. L'hypermarché Ardis, intégré au Centre commercial Medina Center ainsi que le parc aquatique sont opérationnels depuis plus d'une année», peut-on lire sur le site d'Alger Medina (www.algermedina.com/le_projet/). «La Baie d'Alger sera bientôt saturée, entre usine de dessalement, palmiers à tout-va qui barrent la vue sur la Baie depuis la route Moutonnière, et maintenant ces tours», regrette un architecte. Du côté des Sablettes, le projet d'aménagement de la Baie d'Alger (qui fait partie du Plan stratégique d'Alger à l'horizon 2030) continue à avancer cahin-caha. Il faut reconnaître que la partie livrée, ouverte au public à l'été 2014, rencontre un franc succès, même en nocturne. Longue de plus de 3 km - 5 km si on compte des rives de Oued El Harrach à l'usine de dessalement - la promenade des Sablettes a complètement transformé le rapport des Algérois à la Baie. L'étude d'aménagement de la Baie d'Alger avait été confiée, rappelle-t-on, au cabinet parisien Arte Charpentier. «La Baie d'Alger est l'une des plus belles baies du monde, un site d'exception comme Hong-Kong, Rio de Janeiro ou encore Istanbul. Aujourd'hui coupée de la mer par le port, les industries, le train et les routes, la ville tourne le dos à son littoral et ne dispose plus de lieux d'urbanité au bord de l'eau : espaces commerciaux et de loisirs, promenades et grandes plages bien aménagées…», constate ledit cabinet. Ruée sur les Sablettes Pour y remédier, les pouvoirs publics ont mis le paquet de façon à rendre à la Baie son statut de pôle attractif et de «carte de visite» (pour ne pas dire «carte postale») d'El Bahdja, et pour faire des Sablettes la vitrine de la Baie. A la clé, une concentration d'équipements et de services : piscines en plein air, piste cyclable de 3 km, jardins paysagers, aires de jeux, connexion wifi, tri sélectif, bibliothèque ambulante, terrasses et buvettes pour se sustenter, parking de 700 places… Pour les piétons, des navettes de l'Etusa assurent le transport depuis le centre-ville. En outre, une passerelle, longue de 200 m, qui relie les Sablettes au Caroubier, sera bientôt réceptionnée. Les trois piscines à ciel ouvert, dont la gestion est assurée par l' Office des parcs de loisirs d'Alger (OPLA), font le plein : 12 000 visiteurs en moyenne par jour (voir El Watan du 10 août 2015). Des flux humains qui s'expliquent, en partie, par les prix attractifs pratiqués : 400 DA pour les adultes et 200 DA pour les enfants. Tout autour du site, protégé par un grillage, des bancs en bois sont mis à la disposition des visiteurs désirant s'offrir un pique-nique en plein air en humant les embruns marins. Le site est physiquement limité par l'embouchure de Oued El Harrach dont les travaux de dépollution ont considérablement avancé. Et même si des odeurs nauséabondes continuent d'émaner du fleuve, il n'empêche que, visuellement, c'est clean. Le clou de ce dispositif est sans doute la petite plage «Piquet Blanc», aménagée dans la foulée de ces grands chambardements autour de la Baie. Brahim, la cinquantaine, peintre en bâtiment résidant à Oued Ouchayeh, est venu en bus avec ses quatre enfants pour s'offrir un moment de détente au bord de cette plage à l'écrin féérique. A l'ouest, Alger se dresse dans toute sa majesté. Les dizaines de cargos en rade apportent un ton métallique à ce spectacle étrange où se mêlent l'azur, l'argent, le sable et les conteneurs. Brahim a dû enjamber le pont emprunté par les voitures pour rejoindre la Promenade. «Mais pour le retour, je prendrai un clandestin. 200 DA et je suis chez moi», dit-il. Brahim raconte : «Depuis mon enfance, je viens aux Sablettes. Cela n'avait évidemment rien à voir avec ça. Avant, on venait ici se baigner en cachette». C'est que ce segment de la baie était plutôt insalubre et malfamé. Brahim reconnaît : «C'est un bon plan pour moi. Tu te paies des vacances à moindre frais. J'ai fait une bonne partie des plages d'Algérie, et je peux vous dire que la Baie d'Alger n'a pas son pareil. Moi, je travaille à mon compte, donc je n'ai pas de souci. Par contre, j'ai un été chargé. Je n'arrête pas. Mais au moins je m'offre une pause de temps en temps pour faire plaisir aux enfants.» Bab El Oued : la mer en chantier Bab El Oued by night. Un feu d'artifice géant célèbre le 94e anniversaire de la création du Mouloudia d'Alger. Le doyen des clubs algérois est né, rappelle-t-on, le 7 août 1921. Et c'est la folie sur l'esplanade El Kettani. Débauche de gerbes de feu vert et rouge. Il faut dire que même sans le spectacle pyrotechnique et l'ambiance de feu des supporters du MCA, le front de mer de Bab El Oued connaît une effervescence ininterrompue. Toboggans et autres manèges gonflables géants, avec toutes les animations annexes (kid-cars, glaces, vendeurs de jouets, baby-foot) confèrent à la place des airs de fête foraine. Le panorama depuis les balcons d'El Kettani est juste mirifique. «Rien que ça, ça me suffit. C'est un régal pour les yeux. Pas besoin de se baigner», roucoule un jeune père de famille en admirant «Madame l'Afrique». En descendant vers R'mila, le chantier de Meditram assorti du panneau «Plan Stratégique d'Alger» est toujours là. Une grue imposante trône sur la place. Entamés en 2012 en même temps que les Sablettes, les travaux d'aménagement des «plages et piscines naturelles de Bab El Oued» semblent accuser quelque retard. «ça fait trois ans que ça dure. Je ne comprends pas pourquoi ça traîne autant !» s'agace un riverain. Mais ce n'est pas fait pour décourager les inconditionnels de la mer. Alors que des manèges pour enfants et autres vendeurs de sucreries ont jeté l'ancre à proximité des palissades du chantier, les baigneurs investissent l'espace de la nouvelle jetée. Les plus jeunes se hissent sur les blocs de béton balisant la brise-lames en forme de T. Mais c'est surtout les bassins naturels dessinés par les nouvelles digues qui sont les plus convoitées. «Nous avons tous appris à nager ici», confie Hocine, un enfant de Bab El Oued. «Avant, il y avait beaucoup de bars et de restos chics», se souvient-il. «Maintenant, la plupart des restaurants ont fermé, mais l'hôtel (El Kettani) a toujours la cote», ajoute-t-il. Hocine nous explique les codes du commerce avec la mer pour les habitants du quartier : «Généralement, les gens qui viennent se baigner ici ne sont pas du quartier, et surtout pas les femmes. Vous ne trouverez aucun gars de Bab El Oued qui viendrait se baigner ici avec sa femme et ses filles. Les gens vont toujours vers des plages éloignées de chez eux, discrétion oblige. Moi-même j'ai cessé très vite de fréquenter cette plage. Quand j'ai grandi un peu, je me baignais discrètement en me cachant derrière les rochers situés à l'emplacement de l'actuel Stade Ferhani. C'était ‘‘îb'' de se baigner dans la plage ‘‘taâ el houma''. Aujourd'hui encore, c'est très mal vu». A partir de Bab El Oued, et jusqu'à pratiquement La Madrague, le rapport à la mer est plus intimiste. Changement total d'échelle. On n'est plus dans les grandes plages d'Alger-Est, avec leurs équipements de dimension «industrielle». Il y a nettement moins d'infrastructures. Il faut dire que le relief ne s'y prête pas non plus. En égrenant les petites criques qui ponctuent la Corniche de Bologhine, les petites plages de La Pointe Pescade, Bains Romains, Baïnem, on s'aperçoit très vite que ce sont presque des plages de quartier, même si l'attrait de la mer pousse de plus en plus de gens, les plus jeunes surtout, à braver ces codes. «Avant, chaque segment du quartier, chaque famille ou groupes de familles avaient leur petite crique. C'était une convention tacite», explique une Saint-Eugénoise. «Les uns se baignaient à La Poudrière, les autres à Deux-Chameaux, l'Olivier,…Bologhine, c'est spécial. C'est à la fois populaire et résidentiel. Les villas qui ont pignon sur mer ou carrément bâties sur pilotis ont un accès direct à la mer et avaient quasiment leur propre plage privée». C'est notamment le cas à Miramar, Hammamet et Baïnem. «Mais aujourd'hui, ça a changé. Les gens viennent d'un peu partout pour des raisons de commodité. C'est moins intime. D'ailleurs, on ne descend plus à la plage.»