Le parti AKP (justice et développement) serait-il en train de perdre le pouvoir qu'il exerce depuis 2002 ? La question se pose avec tant d'insistance que beaucoup considèrent que son score au scrutin de juin dernier le positionne sur une pente. Ceux-là n'en veulent pour preuve que cette conséquence en termes de voix qui le rend incapable à gouverner, ou encore son isolement, puisque pas le moindre parti n'envisage de se joindre au parti du chef de l'Etat, Recep Tayyip Erdogan. Dans le contexte actuel, faut-il cependant parler de l'AKP ou de la Turquie qui semble plongée dans une situation qu'elle croyait restreinte aux voisins syrien et irakien dans une moindre mesure ? A croire que les deux sont liés et que cette dernière a eu un impact sérieux sur la situation intérieure. Quel a été justement son rôle, au moins dans certains aspects de la guerre en Syrie, car l'impact de cette dernière sur la Turquie est quant à lui réel, avec l'émergence de la force kurde qui a comblé le vide laissé par les forces et l'administration de Bachar Al Assad. Ankara a bien tenté de s'y opposer, craignant une relance de la question kurde sur son propre territoire. Et avant l'effet syrien, les Turcs ont eu à éprouver le système AKP, considéré comme hégémonique et même menaçant pour la démocratie. Ou encore les affaires de corruption impliquant de hauts niveaux de la société. Tout cela se paie, comme le prouve le scrutin de juin dernier dont les résultats sont apparus comme une véritable redistribution des cartes, suscitant au moins le doute au sein de la tendance islamo-conservatrice et de l'espoir, et même beaucoup d'espoir d'un changement chez les Kurdes notamment qui se sont engagés dans la voie politique. Ce qui a amené le président Erdogan à annoncer la tenue de nouvelles législatives le 1er novembre, après l'échec pour la formation d'une coalition gouvernementale. Sauf que d'ici là, le pays devra se doter d'un gouvernement de transition, composé des représentants de chacun des quatre partis qui siègent au Parlement et possiblement d'indépendants. La Turquie n'avait pas eu recours à un tel cas de figure depuis 1971. Une hypothèse d'ores et déjà rejetée par l'opposition des sociaux-démocrates (CHP, deuxième force au Parlement) et des nationalistes (MHP, troisième force) ont exclu toute participation à un tel gouvernement. Beaucoup s'en réjouissent, mais AKP et son chef veulent ainsi repartir sur de nouvelles bases, et pas question pour eux de perdre le pouvoir. Ceux-là et même d'autres s'interrogent alors sur le contexte actuel en Turquie, celui de la peur après la série d'attentats attribués aux djihadistes et qui, paradoxalement, n'ont pas été suivis d'effet, sinon très peu. L'action politique et militaire turque a été axée sur le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui a vu ses positions en Irak, bombardées, avec l'inévitable rupture du cessez-le-feu et le retour au point de départ. Le conflit a été rallumé, mais l'opposition estime que le président turc n'a cessé de jouer sur la peur et l'instabilité croissantes pour obtenir un nouveau scrutin dans l'espoir que l'AKP retrouve sa majorité gouvernementale. Avec la résurgence de ce conflit vieux de 30 ans, M. Erdogan est au moins suspecté de vouloir marginaliser le Parti démocratique du peuple (HDP, prokurde) qui a obtenu 13% (80 députés) des voix lors du scrutin de juin et privé l'AKP de majorité. Selon des analystes, en jouant sur la fibre nationaliste, il espère obtenir un effritement de la popularité du HDP, accusé d'être proche du PKK, et remobiliser les nationalistes vers l'AKP. «Une seule personne a pris la Turquie en otage avec ses ambitions», a martelé, jeudi 20 août, le porte-parole du CHP, Haluk Koç, dans une critique à peine voilée contre l'homme fort de Turquie, tandis que la presse a fait état, ces derniers jours, de ministres ou officiels turcs hués par la foule lorsqu'ils assistaient aux funérailles de soldats ou de policiers, en signe de désapprobation de l'offensive militaire décidée par le gouvernement. Dur pour l'AKP.