Ils ont en commun d'être jeunes, Algériens, et de voir le monde qui les entoure en 50 mm. L'appareil photo dans la besace, ils parcourent les rues, les routes et les champs à la recherche de chimères photographiques, sous l'emprise de pulsions qui leur sont propres. El Watan Week-end est allé à la rencontre des ces drôles d'oiseaux à la gâchette facile. Youcef Krache «Etre photographe, c'est un peu comme pêcher ou chasser» «Parfois je pense aux photos que je n'ai pas prises. Par exemple, un jour, une femme passe avec son enfant dans la rue. Il y avait un trou sur le trottoir que je voulais photographier depuis longtemps. Elle a trébuché au niveau du trou, mais a pu sauver l'enfant avec un réflexe de maman. J'hésitais entre prendre la photo pour illustrer mon idée et lui tendre la main pour l'aider. Finalement, des gens l'ont aidée à se relever et j'ai raté la photo. J'ai donc raté le beurre et l'argent du beurre (rires) ! Cette photo est de celles que je n'ai pas prises, mais qui est restée en moi. Etre photographe, c'est un peu comme pêcher ou chasser. Quand tu veux capter un moment rapide, tu prends ton appareil et tu shootes. C'est de la chasse. Parfois, je choisis un peu mon terrain, je prépare l'appareil et j'attends. Là, c'est un peu de la pêche. Et j'opte pour une manière ou l'autre, selon le feeling et l'objet que je veux photographier. Tous les possesseurs d'appareils numériques sont utiles. Ils se baladent dans la rue et c'est intéressant, car ils banalisent la photo chez les gens et les policiers. Les médias participent à cette vulgarisation sans le vouloir. Pour cela, merci Ennahar et El chourouk ! Depuis une année et demie, j'ai décidé de consacrer tout mon temps à ma passion. Je me suis fixé un ultimatum jusqu'en 2016 pour voir si je peux vivre de la photographie et voyager. Pour l'instant ça va. Je vais être exposé à Berlin en septembre et à Bamako en novembre. Le 5 juillet dernier, j'ai exposé à Didouche Mourad (Alger) publiquement 220 photos. L'exposition a duré quelques secondes. Il y avait un flic qui était énervé, car on l'avait réveillé à 7h par une journée de Ramadhan et il a décidé de tout enlever. Mais je crois que les autres avaient bien aimé. On a quand même fini au poste, mais il n'y a pas eu de poursuites judiciaires. Ils faisaient simplement leur travail.» Lola Khalfa «J'aime ce charme et ce chaos» «Mes photos tournent autour de mes réflexions. Pour faire une série, souvent je pars d'une photo déjà prise que j'essaie de développer et de questionner. C'est le cas de la photo de la petite fille (ci-contre) qui a donné lieu à une série sur le théâtre des Venelles à Annaba. Le regard de la petite fille est intense, chargé d'émotion. Dans quel genre de société vit cette petite fille ? Quel est son quotidien ? Les Algériens sont un peuple anticonformiste. J'essaie de me nourrir de chaque rencontre. C'est très aléatoire et spontané. Ma série «Anti-conventionnel» est partie d'une comparaison avec Paris qui est considérée comme la plus belle ville au monde, mais perso je préfère un douar algérien avec son architecture aléatoire, ses paraboles, la peinture par-ci par-là, le linge au balcon ; c'est ce qui fait la beauté de ce pays. Pour moi, l'architecture algérienne et les fragments d'environnement algériens sont comme une toile collaborative où chacun ajoute sa touche. J'aime ce charme et ce chaos. J'ai travaillé comme infographiste de 8h à 17h, je n'étais pas heureuse. Ma mère l'a vu. Elle m'a dit qu'elle me soutiendrait dans ma carrière artistique. Depuis je fonce ! Ce n'est pas tout le temps évident, on n'est pas toujours payés, parfois on développe des projets avec nos propres moyens. Donc, je ne me focalise pas sur comment gagner ma vie, mais plutôt sur comment développer mes projets. J'ai déjà vendu des œuvres, mais je sélectionne les personnes qui vont les acheter. Je ne veux pas que quelqu'un achète une œuvre pour la mettre dans un placard. Je vends au feeling. Le but de mes œuvres n'est pas lucratif. En ce moment, mes projets artistiques font que je vis entre Annaba et Paris.» Redouane Chaib «Ntaya taztal (toi tu prends de la drogue), moi je prends des photos» «J'ai toujours vécu à Alger. J'aime cette ville. Je viens de Ben Aknoun, et Bab El Oued est mon endroit préféré pour photographier, car tu y vois de tout. Je vois Alger en noir et blanc, car c'est une ville de contraste et quoi de mieux que ces deux couleurs paradoxales pour le montrer. Par exemple pour ma dernière exposition, j'ai photographié des personnes à Qar Essour (une plage cachée de Bab El Oued), elles ont vu l'appareil photo, elles m'ont appelé et m'ont demandé pourquoi je prenais des photos. Je leur ai expliqué que c'est pour prendre mon pied. Quelqu'un m'a dit fais-toi plaisir. Je suis revenu le lendemain et c'est comme ça que j'ai pu gagner leur confiance. Très souvent on me demande la raison pour laquelle je prends des photos et moi je réponds : ‘‘Ntaya taztal (toi tu prends de la drogue), moi je prends des photos.“ Pour moi, la photo, c'est d'abord de la communication ; quand je revois une photo, je me rappelle davantage de ce que j'ai dit, que de la photo en elle-même. Je ne prends pas de photos de personnes qui sont en difficulté, comme les sans-abri. C'est gênant et dégradant pour elles. Pour moi, la photographie est une passion. Question argent, la photo ne m'a pas apporté grand-chose. J'ai déjà fait plusieurs expos, et l'expérience n'a pas toujours été positive. Tout le monde a aimé , mais on n'achète pas de photos de rue. Les gens préfèrent des photos de La Casbah, du Maqam Chahid, d'Audin et moi ça ne m'intéresse pas. Nos élites culturelles sont restées dans une certaine nostalgie du Alger de leur jeunesse, La Casbah, la propreté, la femme en hayek. Ou alors, c'est par souci d'éthique, ils sont peut-être gênés d'afficher une photo d'une personne prise récemment. Dans cinquante ou soixante ans mes photos auront peut-être une valeur.» Kaci Ould Aïssa «J'ai tout abandonné pour être photographe» «J'ai fait des études en génie mécanique. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai été recruté par une entreprise française à Hassi Messaoud en tant que chef d'équipe. J'y ai travaillé durant une année. Pendant un congé à Alger, j'ai rencontré une femme qui travaillait dans l'événementiel. Elle cherchait un photographe bénévole pour une œuvre de charité et je me suis proposé. L'expérience s'est bien passée et elle m'a offert de travailler dans la communication. J'ai tout abandonné pour devenir photographe. C'était il y a sept ans et aujourd'hui je suis directeur photo chez Dzeriet. Il y a deux dimensions dans mes photos : il y a celle de mon travail, c'est de la photo industrielle à la demande, et celle que j'aime faire, comme la série issue de mon voyage en Mauritanie que j'ai exposée récemment. Les réseaux sociaux ont été fondamentaux dans l'explosion de la photographie dans notre pays. Ce site nous a permis de nous rencontrer entre photographes, de partager nos travaux. J'ai fait plusieurs expositions collectives. J'ai également participé à pas mal de sorties photos avec des photographes, mais j'ai arrêté, car ça ressemblait surtout à des clubs de rencontre. En tant que professionnel, je trouve qu'il y a un problème de tarification, il n'y a pas de tarif planifié, alors qu'on fait le même travail. Il y a aussi des limites au système actuel, car il y a des photographes qui couvrent des événements contre deux ou trois invitations. Ils font cela gratuitement, car ils sont heureux d'être publiés. Ils ne se rendent pas compte qu'ils font du mal à la profession.» Sonia Merabet «Je suis un peu une paparazzi mais gentille, sans les flashs» «Quand je ne suis pas bien, que je n'arrive pas à dormir, je prends mon appareil photo. C'est un exutoire. Depuis toute petite, je suis la photographe de la famille. Les mariages, les événements, c'était pour moi. J'adorais les couchers du soleil. J'adore toujours cela. A 18 ans, on m'a offert mon Reflex, car toute la famille avait remarqué cette passion. C'est le meilleur cadeau qu'on ne m'ait jamais fait. Avant, j'avais un blog “Algérie à mes yeux“, j'adorais prendre des photos des gens, j'avais toujours une écharpe sur moi pour faire de la photo de rue, pour cacher l'appareil. Mais avec le temps, je ne veux plus faire ce type de photo, ça ne m'intéresse plus. J'ai fait des études de création de mode à Londres. Je suis rentrée à Alger en 2010. En arrivant, j'ai repris contact avec une ancienne amie qui travaillait à Thalafilms, une boîte de production qui venait d'ouvrir. J'ai commencé à travailler avec eux en tant que styliste et photographe. Sur internet, les gens ont commencé à me repérer comme photographe. Depuis, je travaille en free lance et ça me va. Pour le travail, les gens m'appellent et c'est une chance. Maintenant je fais des photos de back stage et j'adore cela, les gens savent que je suis présente et ça me plaît. Je suis un peu une paparazzi mais gentille, sans les flashs. Tout m'émerveille, je suis attirée par la lumière, par les petits instants de la vie. Je ne fait pas de photos pour un projet prédéfini ou pour une exposition, je prends des photos, c'est tout. En ce moment, j'adore aller sur flickr (le site internet de photographes) et regarder. Il y a plein de photographes qui prennent des clichés de leur vie de tous les jours, je trouve ça beau.»