La gigantesque offre publique de travaux (programmes de soutien à la croissance économique et de développement des régions sahariennes et hauts plateaux) à laquelle il faut ajouter un nombre important de projets engagés par des opérateurs privés se sont concrètement traduits par l'ouverture de milliers de chantiers de construction de logements, d'équipements et d'infrastructures de base à travers tout le pays. Lancés dans la précipitation avant même que les études techniques ne soient achevées, que les terrains soient disponibles et que les budgets existent, la plupart d'entre eux s'enliseront très vite dans d'inextricables problèmes de conduite de travaux qui se traduisent le plus souvent par l'extension démesurée des délais de réalisation et la mauvaise qualité du travail. C'est ainsi qu'en 1998 on avait évalué la durée moyenne pour la réalisation d'un logement social à environ 7,5 années alors qu'en France par exemple elle n'excéderait pas les deux années. Si la France construit plus vite, nous apprend un architecte en poste dans une OPGI de la capitale, c'est « parce que les architectes prennent le temps de bien ficeler les dossiers de construction, qu'ils ont un réel pouvoir de contrôle de réalisation, que les maîtres d'ouvrages prennent le soin de libérer le terrain et le financement nécessaires avant d'engager les études et la réalisation des projets. En Algérie, il n'est pas rare que les constructions démarrent alors que les études techniques sont à peine à leur début, que les terrains à bâtir soient soumis à un problème de titre de propriété ou d'indus occupants qu'on mettra plusieurs années à régler ». Un chef d'entreprise publique à qui nous avons posé la même question pense quant à lui que « les dérapages des délais de réalisation sont imputables à la mise en place tardive des crédits de paiement dont continuent à se plaindre, aussi bien, les maîtres d'ouvrages que les entreprises ». Si les délais déparent sur l'écrasante majorité de nos chantiers, Il faut toutefois reconnaître que ceux dont les études et la réalisation sont confiées à des sociétés étrangères (les entreprises chinoises par exemple) parviennent à tirer leur épingle du jeu, notamment lorsque que les terrains mis à leur disposition ne souffrent d'aucune contrainte et qu'elles sont payées sans retard. Atout majeur La productivité de la main-d'œuvre qu'elles ramènent de leurs pays constitue un atout majeur de bonne maîtrise des délais, des coûts et de la qualité de construction qui fait malheureusement défaut à la majeure partie de nos entreprises. Les sociétés étrangères apportent ainsi la preuve que lorsqu'il existe un environnement favorable à la construction, il est tout à fait possible de réaliser dans les délais impartis. Ce n'est malheureusement pas le cas pour l'écrasante majorité des chantiers, qu'ils relèvent de l'habitat, des travaux publics, de l'hydraulique ou des autres secteurs, à l'exception de ceux de la défense nationale qui bénéficient d'un traitement particulier. Même si certains maîtres d'ouvrages, comme les OPGI, l'Agence nationale des autoroutes, l'Agence nationale des barrages, constatent une réduction notable des délais de réalisation et une certaine amélioration de la qualité des travaux, il n'en demeure pas moins que la règle qui continue à prévaloir sur l'écrasante majorité des chantiers algériens est le débordement quasi général des délais de réalisation contractuels. Défaillances Là où il n'est prévu que deux années on y passera souvent le double et dans certains cas beaucoup plus. Et comme les causes du retard n'incombent souvent pas qu'à l'entreprise mais aux défaillances des différents opérateurs concernés (maître d'ouvrage, organisme payeur, administrations publiques, etc.), il n'est évidemment pas aisé d'appliquer des pénalités de retard prévues ni de résilier le contrat aux seuls torts de l'entreprise. Le dépassement des délais de réalisation est de ce fait vécu comme une fatalité dont on n'est même pas sûr d'obtenir en retour une meilleure qualité des ouvrages. C'est ainsi que la plupart des nouvelles routes qu'on a mis beaucoup de temps à réaliser ont commencé à se détériorer juste après leur entrée en service. La qualité des matériaux utilisés, le manque de rigueur au niveau des études et les insuffisances en matière de contrôle en sont généralement les causes. A peine achevées, l'Etat doit inévitablement prévoir un budget supplémentaire conséquent pour réparer des malfaçons qui n'avaient aucune raison d'être. Une dizaine de milliards de dinars aurait été consacrée à cette tâche au cours des 5 dernières années. L'Algérie est obligée par ailleurs de payer les conséquences des retards accumulés par les chantiers de construction de grandes infrastructures qui à l'instar du métro d'Alger se débat depuis plus de 20 ans dans des problèmes de financement, d'expropriation et d'études, de l'aérogare internationale d'Alger qui a accusé des dizaines d'années de retard pour à peu près les mêmes raisons, du chantier du tramway d'Alger qui a du mal à démarrer pour les mêmes causes et des nombreux ponts dont la construction est achevée depuis de longues années mais qui ne sont toujours pas raccordés à des routes qui, pour diverse raisons, ne sont pas encore réalisées. Le coût financier de ces retards est évidemment énorme. Ils auraient certainement beaucoup moins coûtés s'ils avaient été réalisés comme prévu dans les années 80 et les budgets consentis seraient aujourd'hui largement amortis par les recettes d'exploitation de ces infrastructures. L'Algérie serait par ailleurs moins exposée au risque d'inflation que pourraient induire les lourds capitaux que l'Etat a injectés dans ces interminables chantiers de service public qui ne génèrent toujours pas encore de recettes. C'est dire l'importance des manques à gagner induits par les retards de réalisation. Les dérapages de délais étant perceptibles, aussi bien, au niveau sectoriel (chantiers dépendants des ministères), qu'au niveau local (wilayas et communes), il serait important que le gouvernement en fasse le bilan.