Par Abdelwahab Boumaza Le 30 octobre 2014, il est 9h, je prends le bus allant de Tafourah à Aïn Taya passant par l'arrêt de la Safex, palais des Expositions. Le Salon du livre m'y fait courir. La quarantaine, petit de taille, des lunettes de vue, les dents écartées, des cheveux très courts, le haut du crâne chauve ou clairsemé, l'homme dit : «Je ne sais pas pourquoi les mouches ne me quittent pas, il y en a toujours une qui me suit.» Il s'adresse à moi et à un autre voyageur, la trentaine. Nous sommes assis sur les premiers bancs derrière le chauffeur, lui dans le premier siège près de la portière. Il parle à haute voix. Il continue de se (ou nous) poser la question de savoir pourquoi la mouche le suit. Par curiosité, et pour rire, je lui dis : «Elle vous aime, cette mouche.» - «Ce n'est pas la même mouche». - Enfin, les mouches vous aiment.» - «Non, ce n'est pas une question d'amour, je les attire.» Un moment après, il ajoute : - «J'attire tous les animaux, les chats, les chiens, les vaches…». Le jeune homme assis devant moi plie le journal qu'il était en train de feuilleter, puis se met à suivre les élucubrations de l'autre bonhomme. «Il est…» , me chuchote-t-il. Mais je crois deviner le dernier mot, que je n'ai pu entendre. J'essaie de trouver une explication aux paroles de l'autre, je dis : «Vous dégagez des ondes positives, et les animaux le sentent…» - «Non, il n'y a pas que les animaux, j'attire aussi les hommes, les civils, les militaires, les policiers…» Il se tait, puis reprend : «Et cela dans toutes les wilayas, les 48 wilayas du pays, et même au Maroc !» - «Donc, votre cas est international.» - «Oui, international.» - «Vous avez le visage amène, on se sent à l'aise près de vous.» - «Non, je ne sais pas pourquoi je les attire, je ne peux pas passer inaperçu.» Il se lève à chaque fois de son siège et vient me le dire à demi-voix, puis il répète la même chose, quand il regagne son siège, à haute voix. «Je ne sais pas pourquoi ? Allez, dites-le moi, vous !» En le voyant se lever puis s'asseoir tout en criant, j'ai bien peur qu'il ne devienne méchant ou agressif, d'autant plus que toutes les raisons que je lui ai présentées ne semblent pas le convaincre, du moins le faire taire, il ne les accepte pas. Pour l'inviter à se taire ou à arrêter cette discussion, je réponds à cette question qu'il ne cesse de répéter : «Allez, dites-moi pourquoi vous !», par un geste de la main droite levée, paume face à lui. Comme quoi je ne sais pas, cela me dépasse, je n'y peux rien. «Non, ne me faites pas comme Hitler et répondez-moi. Allez, dites-moi pourquoi, vous !» Je refais le geste de la main droite, mais vers le bas, paume face à moi. «Oui, comme ça, d'accord, pas comme Hitler !» Eureka ! Je trouve une idée pour couper court à cette discussion. Je demande le journal au jeune homme qui est assis devant moi. Il me le donne. C'est le journal arabophone El Khabar. L'écriture est si minuscule, je fais semblant de lire, d'être profondément concentré. Le bonhomme jette plusieurs coups d'œil de mon côté, puis se range sur son siège, face au pare-brise.