Pari tenu avec ce premier roman intitulé Djanoub el milh, l'écrivain algérien Miloud Yabrir a su planter des histoires de chez nous pour parler de nous aux autres. Son livre très remarqué, coédité chez Barzakh et Dar El Djadid (Liban), sera disponible au Salon international du livre d'Alger. - Qu'avez-vous voulu raconter dans Djanoub el milh ? Il me semble que j'ai essayé de donner une nouvelle dimension à des généralités ou des sentiments que l'on connaît tous, comme la tristesse, le doute, le non-sens, la mort, la folie… J'ai tenté de leur donner un sens et une profondeur, car souvent nous pensons que ce sont des sensations qui n'ont pas ou peu de valeur. Il me plaît à penser que chacun d'entre nous s'interroge sur le sens de sa vie, ce qui l'entoure, et chacun tente de trouver des réponses. A travers mon premier roman Djanoub el milh, je voyais se former mes propres interrogations auxquelles j'ai envie de trouver également une issue. Pour ma part, les petites histoires sont aussi importantes que les grandes. J'ai essayé de le montrer au fur et à mesure que j'avançais dans l'écriture. La vie de mon héros, de son père et de son grand-père est semblable à l'Algérie indépendante. Le grand-père est un imam conservateur et nationaliste, dont le fils est communiste et nationaliste, le petit-fils traverse également des tumultes. J'ai voulu montrer comment les croyances des uns ont un impact direct sur les autres, même s'ils ne partagent pas les mêmes convictions. - Il vous a fallu combien de temps pour écrire Djanoub el milh ? Qu'est-ce qui a été le plus difficile-facile ? J'ai écrit mon roman sur une période de deux années ; petit à petit la construction du récit a donné un texte que j'ai retravaillé durant deux mois. Je n'avais pas vraiment de lieu précis pour l'écriture. Je l'ai écrit dans le bus et dans des cybercafés. Il m'est arrivé d'y penser aux toilettes. L'artiste peintre Mohamed Issiakhem disait : «Quand je peins, je souffre, j'ai mal», moi aussi quand j'écris, je souffre. Cependant, je m'amuse beaucoup à faire danser les mots et en faire des phrases et des histoires, c'est la partie la plus plaisante. L'écriture fait partie de moi, je ne peux pas m'en passer. - Où avez-vous puisé le caractère complexe de vos personnages ? Je suis une personne qui aime l'univers de la psychiatrie et tout ce qui touche à son apprentissage et ses courants. Le fait d'être médecin me fait penser que si je devais me spécialiser, j'opterais sans hésiter pour la psychiatrie. Cet intérêt, qui parfois devient une passion, m'a beaucoup aidé dans la construction de mes personnages. La forme ou la manière a été au centre de mes recherches. C'est-à-dire que je voulais faire très attention à la forme que je voulais donner au récit, aux idées et aux personnages. Par ailleurs, je m'interdisais presque d'imposer au lecteur une forme précise ; c'est bien aussi que ce dernier puisse user de son imagination pour construire dans sa tête des images pendant qu'il me lit. Je pense que nous attachons assez d'importance à la forme, en général ! - Quand on plonge dans votre ouvrage, on peut être dérouté, choqué parfois par certaines citations. Une envie de parler en toute liberté ? Evidemment, dès le début de cette aventure littéraire, je me suis posé la question sur le genre. Au début, j'ai voulu écrire de la poésie en arabe, puis je me suis retrouvé prisonnier des règles, des rimes et du style. Je devais «négocier» entre ma liberté de penser et des styles préalablement établis. Le seul domaine où ma liberté s'exprime, c'est dans l'écriture, je ne pouvais m'imposer ceci. Ma liberté de penser n'a pas de limite dans mon écriture. Elle ne commence nulle part et ne se termine pas. Je pense que nos sociétés, que ce soit en Afrique ou dans le monde arabe, ont besoin de s'exprimer sur des sujets aussi importants que la liberté religieuse, ou politique, c'est notamment le cas pour notre pays. Ce que nous possédons, c'est notre corps ; le reste est réfléchi de sorte que nous avançons selon une administration et un pouvoir omnipotent. Nos libertés ne sont qu'illusion. - Votre livre sortira en Algérie lors du prochain Sila prévu en octobre... Oui ! C'est une joie de savoir que mes lecteurs algériens pourront le lire et me faire part de leurs remarques. Je suis une personne très attentive au ressenti des autres. J'avoue que je n'ai jamais été du genre à courir derrière des prix ou des distinctions littéraires, j'ai besoin de prendre le temps, me relire et prendre du recul. Lorsque le journal Algérie News a fermé, je n'avais plus où publier mes chroniques et certains de mes récits. Certains journaux ont refusé de me publier, je n'avais pas d'espace, je me sentais pris au piège ! Alors, comme mes contemporains, écrivains et intellectuels algériens font depuis l'indépendance, j'ai décidé de partir pour faire entendre ma voix ailleurs. Mes écrits ont certes quitté le pays, mais ni mon corps ni mon esprit n'ont voulu faire le voyage. Penser et écrire dans un pays comme le mien infligent une décomposition de l'être. Mon récit Djanoub el milh a été édité suite au prix que j'ai obtenu à Sharjah, aux Emirats arabes unis. Il sera disponible en Algérie lors du Salon international du livre d'Alger en octobre par les éditions algériennes Barzakh, et libanaises Dar El Djadid. Djanoub el milh sera disponible dans la majorité des Salons et rencontres littéraires auxquels prendront part mes éditeurs. - Pensez-vous que la littérature algérienne est mieux représentée qu'avant ? Je crois que depuis cinq ou six ans, nous assistons à un changement dans l'écriture, c'est-à-dire qu'elle est moins idéologique et se rapproche de plus en plus de l'individu. Aujourd'hui, les écrivains s'intéressent davantage à l'Algérien. J'aime aussi la littérature algérienne produite dans les années 1970 et 1980. - Vous écrivez en arabe, mais dans une langue simplifiée dans sa structure, une manière d'alléger le récit ? La langue doit jouer son rôle d'outil et non pas devenir un instrument que l'on jugerait à tout-va. Je ne suis pas amateur des envolées lyriques et poétiques ni de la langue de bois. Il est très rare que la langue exprime ce que l'on veut écrire ou dire. La langue dit toujours plus, parfois moins, de ce que l'on pense. Donc, un écrivain mène un combat intérieur avec sa langue, ou ses langues. J'ai essayé de faire en sorte que mes phrases aient un sens et qu'elles ne surjouent pas leur rôle. Ces efforts sont volontaires, car je veux que mon style soit fluide et accessible à tous. Je lis en français également, ce qui a pu à un moment avoir une influence sur mon écriture sans la dénaturer. J'ai pris le recul nécessaire pour produire un tel écrit, avec tout ce qui fait de moi un écrivain ayant conscience de sa réalité. - En général qu'aimez-vous lire ? J'aime beaucoup lire José Saramago et Milan Kundera, pour leur profondeur et leur sensibilité face à l'humain. J'ai aimé les premiers romans de Rachid Boudjedra pour leur construction, il force l'admiration. Michel Foucault a changé mes idées sur l'autorité. Friedrich Nietzsche a été le premier à m'avoir annoncé que je cherchais quelque chose qui n'existait pas ! Al Moutanabi ou Abou Alaa Almâari, des esprits qui ont fait un avec la langue arabe. Enfin, je citerai Mahmoud Derwich qui a fait naître en moi l'étonnement dans chaque poésie. En ce moment, je lis l'Iranien Sadegh Hedayat.