Il fut un temps où de grands esprits occupaient la scène intellectuelle française : Sartre, Simone de Beauvoir, Lévi-Strauss, Bourdieu… Leurs réflexions incitaient les lecteurs à prendre conscience de leur ignorance et de leurs préjugés et à conduire plus rigoureusement leur pensée. A ces éveilleurs ont succédé de petits esprits, qui caressent le public dans le sens de ses préjugés, flattent ses haines, justifient ses partis pris racistes. Si certains de ces pense-petit, tel un Eric Zemmour, ne sont pas particulièrement dangereux, tant leur simplisme et leur détestation racistes s'affichent à découvert, d'autres le sont beaucoup plus. Protégés par leurs titres, leurs fonctions – ils enseignent ou ont enseigné dans des établissements de prestige – auteurs d'ouvrages qui, sans être brillants, ne sont pas d'une nullité absolue, ils distillent, dans un langage qui se veut objectif et serein, le racisme le plus grossier à l'endroit des immigrés. C'est le cas, en particulier, d'Alain Finkielkraut. Grand admirateur d'une Oriana Fallaci, pour qui «les Arabes se multiplient comme des rats», il publie un ouvrage où, à son habitude, il s'abrite derrière d'autres plumitifs pour cracher son venin. N'appréciant pas beaucoup, c'est le moins qu'on puisse dire, les Arabes et les Beurs, il prend plaisir, par exemple, à citer longuement un extrait d'un livre du journaliste Eric Dupin qui, déambulant dans les rues de Tourcoing, a «l'impression un peu pesante de parcourir un territoire presque exclusivement arabe… La boulangerie s'appelle Pain de Farah, la boutique d'internet bled com et la boucherie est évidemment halal». Ce n'est pas A. Finkielkraut qui est choqué, c'est Eric Dupin, évidemment ! Ne songeant nullement, jure-t-il, à «stigmatiser l'islam», l'auteur de La seule excuse prend néanmoins plaisir à rappeler les propos que l'empereur byzantin Manuel II Paléologue tient à un érudit persan : «Montre-moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l'inhumain.» Evoquant l'expulsion d'une jeune fille d'origine kosovarde, Leonarda, qui provoqua de nombreuses protestations, il croit utile de rappeler que «cette lycéenne séchait assidûment les cours (et que) son père refusait obstinément de travailler». Approuve-t-il son expulsion ? Il ne le dit pas, bien sûr, il se contente de rappeler qui elle est : au lecteur de juger… Tels ces adultes courageux qui, lors d'une manifestation, mettent au premier rang des enfants, A. Finkiekraut ne s'avance jamais à visage découvert et s'abrite derrière un journaliste, un empereur byzantin ou un haut fonctionnaire pour répandre son venin. Il lui arrive pourtant, de temps à autre, de s'exprimer à visage découvert, et le lecteur découvre alors à quel point cet auteur hargneux peut être vulgaire. S'attaquant au manifeste de Stéphane Hessel, Indignez-vous !, il reproche à ce haut fonctionnaire courageux, qui paya souvent de sa personne pour défendre des causes justes, d'inventer «le tourisme de l'indignation». Souffrant d'une «indigence vertigineuse de la pensée», ce «vieux-jeune», comme il a l'élégance de l'appeler, «n'a pas mûri, ne s'est pas assagi». La preuve ? Ne conclut-il pas son appel, Indignez-vous !, par «une longue diatribe contre Israël» ? Décidément, se lamente A. Finkielkraut, «la patrie des droits de l'homme (est devenue) un grand foutoir». En effet : il s'est trouvé un éditeur pour publier La Seule Excuse.