Après des années de tourmente et de division nées suite au décès de son chef historique, El Hachemi Cherif, le Mouvement démocratique et social (MDS) renaît de ses cendres. Lors du congrès de mai 2012, une direction collégiale a été élue. Hamid Ferhi est le coordinateur du bureau national. Dans cet entretien, il s'exprime sur des sujets d'actualité, sur la situation des partis de gauche et celle de son parti, le MDS. - L'actualité nationale est marquée, ces dernières semaines, par des changements au sein d'importantes institutions, notamment le DRS. Quelle lecture en faites-vous ? C'est la fin d'une époque, la fin de la génération de Novembre et, par conséquent, de la légitimité historique. En soi, c'est une bonne chose. Des générations n'ont pas eu accès aux hautes responsabilités. Et c'est une opportunité, une chance qui est donnée aux générations d'après-indépendance d'y d'accéder. Cependant, tous ces changements n'augurent pas de la fin de la police politique. L'arrestation d'activistes et le recours systématique à la détention préventive… sont des signes qui ne trompent pas. - Pourtant, d'autres politiques parlent de luttes de clans. Partagez-vous ce constat ? Quelles que soient les raisons qui amènent tel ou tel responsable à quitter ses responsabilités, les tenants de la thèse de «lutte de clans» préconisent en réalité qu'il y a des possibilités d'effondrement des institutions de l'Etat. Cela conforte les tenants du système qui jouent sur la peur et donc sur la démobilisation des citoyens. Le MDS pense, par contre, que l'Algérie est entrée dans une stabilité qui peut permettre à un courant patriotique et démocratique de structurer la société s'il s'en donne les moyens, c'est-à-dire mobiliser les citoyens autour de leurs préoccupations et des objectifs stratégiques d'un pays comme l'Algérie. - Croyez-vous à la notion de l'Etat civil dont parlent les partisans de Bouteflika ? L'Etat civil est une fumisterie. C'est le cheval de Troie de tous les islamismes et les rentiers du système. C'est la nouvelle formule trouvée pour contourner l'exigence d'un Etat démocratique, social, séparant le politique du religieux, assumant pleinement notre algérianité. - Appelez-vous, comme le font certains partis, à des élections présidentielles anticipées ? Le MDS se bat pour le changement total du système. Il se bat pour un Etat démocratique, un Etat des citoyens, un Etat qui sépare le politique du religieux, qui partage les richesses matérielles et immatérielles qu'il produit. Les élections ne sont qu'un moyen et dans les conditions actuelles, si elles se tenaient, elles seraient déterminées par les tenants du système. - Les prix des hydrocarbures, seule entrée de devises du pays, ont chuté. Le gouvernement n'arrive pas à trouver la parade. Pourquoi, selon vous ? Dès son retour aux affaires, Bouteflika a choisi de démobiliser la société, de généraliser la corruption avec un mot d'ordre : «Enrichissez-vous !» Il a continué la destruction de l'outil de travail (public et privé) en faveur des importateurs et de l'informel. L'amnistie fiscale en est une autre preuve. Dire qu'il n'a pas trouvé de parade, c'est le dédouaner. Seul un pouvoir qui représente les intérêts du travail peut mobiliser la société pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures. L'Algérie est un pays pauvre, même avec un baril à 100 dollars. C'est pour cela qu'il faut un pouvoir qui mobilise toutes les ressources du pays en faveur de la production, dont le facteur principal est l'éducation et la formation. - L'éducation, la formation et une économie solidaire sont justement des thèmes phares des partis de gauche. Or, ce courant semble réduit à sa simple expression. Pourquoi, selon vous ? Pour le MDS, la gauche n'est pas un ensemble de sigles. Ceux qui portent les intérêts les plus progressistes sont les courants de gauche. Aujourd'hui, tous ceux qui ont intérêt à l'investissement productif, qu'il soit public ou privé, à l'éducation de nos enfants, à une consommation sobre… sont les courants de gauche en opposition aux forces qui représentent la spéculation, l'informel, l'import/import… - Vous pensez donc que le courant de gauche a toujours sa place ? Absolument ! Ce qui se passe dans le monde en est la preuve. «Travailler plus pour gagner plus» a montré la duplicité des pouvoirs soumis à la finance mondiale ; exactement comme ceux qui taxent les Algériens de fainéants alors que notre jeunesse fait des «miracles» dans les pays qui l'accueillent. - Mais pourquoi ne pas créer une alliance entre tous ces sigles de gauche ? Pour le MDS, la classe politique algérienne est obsolète. Elle fonctionne comme des appareils en soi, mais pas au service de la société. Cela donne le spectacle peu reluisant d'alliances contre-nature qui finissent par décourager toutes les bonnes volontés. Cependant, cela n'empêche pas des contacts avec plusieurs formations de gauche. - Vous considérez, donc, la CLTD comme une alliance contre-nature ? Je ne connais pas plus «contre-nature». Une alliance qui propose au pouvoir de se défaire sans dire ce qu'on mettra à la place est le comble de l'irresponsabilité. Les seuls gagnants dans ce type d'alliances sont les tenants de la régression. - Comment expliquez-vous le retour des anciennes figures terroristes sur la scène publique ? Cela n'est possible que pour servir l'agenda du système, que ce soit quand la Présidence invite Madani Mezrag comme «personnalité nationale», lorsque Hamadache apostasie les Algériens ou quand des partis politiques donnent aux anciens terroristes du FIS une tribune. Les islamistes ont depuis longtemps perdu l'initiative, d'où leur opportunisme à coller à toutes les initiatives pour continuer à exister. C'est le cas de la réconciliation nationale qui laisse la porte ouverte aux assassins de djounoud et la volonté de sa constitutionnalisation en lieu et place de la résistance du peuple algérien sans laquelle Novembre serait enterré. - Souhaitez-vous toujours une alliance des Républicains ? Le MDS travaille pour un front intérieur – opposition et pouvoir – qui garantisse la stabilité du pays, capable de mener les réformes arrivées à maturité : régler la question identitaire en officialisant tamazight, consacrer l'algérianité en arrêtant d'utiliser la religion à des fins politiques et en exploitant toutes les richesses colossales pour un développement durable, où le citoyen serait au centre. Il faut revenir aux fondamentaux de la Révolution de Novembre dans les relations internationales, c'est-à-dire la coopération, la solidarité et la non-ingérence dans les affaires internes des pays. - Le MDS est passé par plusieurs étapes. La dernière a été couronnée par l'organisation d'un congrès en 2012. Qu'est-ce qui a changé dans votre parti ? A-t-il fait sa mue ? Le MDS est l'expression d'un courant politique qui prend ses racines dans les années 1920. Il a pour objectif l'émancipation du peuple algérien et la construction d'un ensemble maghrébin. Notre parti a vécu au rythme des moments forts qu'a connus le pays et, comme toute organisation, il a connu des retards et, souvent, précurseur du débat sur les grands problèmes auxquels sont confrontés l'Etat et la société. C'est le cas du coup d'Etat de Boumediène, en 1965, qui a donné naissance à l'ORP/PAGS et les transformations qui ont suivi Octobre 1988 qui a abouti à la création de Ettahadi/Taffat et du MDS. La disparition d'El Hachemi Cherif nous a plongés dans une crise qui n'a connu son dénouement que récemment. Le MDS d'aujourd'hui s'est doté d'une direction collégiale qui prépare l'organisation à fonctionner avec des courants politiques pour mettre à la disposition de la société un outil qui permette l'arbitrage des divergences par la voie du consensus, quand cela est possible, ou par la voie électorale à chaque fois que la situation l'exige. Le MDS d'aujourd'hui ne peut pas exiger du pouvoir un fonctionnement démocratique et rester dans une gestion et des méthodes héritées du FLN historique. Sur le plan programmatique, le MDS a été fondé avec le mot d'ordre de la double rupture : avec le système rentier bureaucratique et l'islamisme politique. Aujourd'hui, le MDS qualifie le système de despotique avec une orientation néolibérale adossée à la rente. Il considère l'islamisme politique comme battu et ne doit sa survie qu'à des manipulations du système et les alliances contre-nature de la classe politique. Nous pensons que la situation internationale offre des possibilités de revenir à un non-alignement positif. L'Algérie détient des ressources qui lui permettent d'améliorer le niveau de vie actuel en continuant l'effort d'investissement. Or, l'opposition et le pouvoir, éléments du même système, tendent à faire peur à la société pour lui imposer plus d'austérité, plus d'inégalités sociales. Le MDS travaille à mobiliser la société à utiliser toutes les ressources disponibles au service d'un développement durable. La société algérienne connaît des problèmes des sociétés modernes – consommation de drogue, mariages tardifs, divorces nombreux, des jeunes qui refusent de se marier, jeunes filles mères, absence de loisirs – alors qu'il subsiste des comportements archaïques, comme les violences faites aux femmes, divorces abusifs, enfants abandonnés… C'est aussi à ces questions que le MDS est en train de travailler. - Etes-vous optimiste ? Absolument ! La société est consciente des enjeux internationaux et ne veut pas, à juste titre, d'un «printemps arabe». Elle est consciente que le système politique algérien est dépassé. Les forces patriotiques et démocratiques ont donc un boulevard devant elles.