Laure Adler, la célébrissime animatrice de magazines littéraires, journaliste, femme de lettres, éditrice et productrice française, ne s'est pas «trompée de société». Invitée, vendredi soir, de l'Institut français d'Alger (et du SILA), Laure Adler qui recevait – en conversation – Maïssa Bey autour de son dernier roman Hizya (éditions Barzakh) a livré, en vrac, ses impressions quant à la société algérienne. «C'est un peu terrible ce que je vais dire (…), mais on a l'impression que dans la société algérienne, c'est très difficile d'avoir un espace à soi», assène-t-elle au détour d'une analyse de l'œuvre de Maïssa Bey. Une «réalité très pesante», souligne-t-elle qui atteint aussi bien l'homme que la femme. S'adressant à la romancière algérienne, qui vient d'être «épargnée» in extremis par le prix Femina, l'intellectuelle et féministe française relève que cette (op)pression sociale est une «réalité pesante», omniprésente dans toute la littérature algérienne… «Il est un fait saillant, particulièrement dans ton dernier ouvrage : c'est l'absence de possibilité d'espace intime». «Je ne vais pas réciter Virginia Woolf, Une chambre à soi (…) ni faire dans la bourdieuserie appliquée sur les classes, même si Bourdieu nous a expliqué les schémas de reproduction des élites, mais c'est un fait très frappant», achève de dire l'ancienne conseillère du président Mitterrand sur lequel elle vient de publier un livre (François Mitterrand, journées particulières, chez Flammarion). Maïssa Bey donne raison à son ancienne éditrice. «En Algérie, on est perpétuellement dans le regard des autres. Ce qui empêche toute forme de liberté», enchaîne-t-elle du tac au tac. Issue d'une petite ville de l'Ouest, de Sidi Bel Abbès, Maïssa Bey dit éprouver cette oppression y compris «chez elle». «Nous vivons dans une société où la tenue vestimentaire est soumise à jugement, parce qu'elle est synonyme de prise de position par rapport à quelque chose.» La solidarité, cette autre marque de fabrique de la société algérienne, est à «double tranchant». «Chez nous, la solidarité n'est pas qu'un mot. Quand vous êtes dans le besoin, des mains se tendent vers vous. Il y a toujours une présence réconfortante quand vous vous retrouvez dans une situation difficile. Mais cette solidarité a une contrepartie. Les gens se mêlent de votre vie, de ce que vous êtes, de ce que vous faites, de ce que vous dites et on est obligé d'en tenir compte.» Hizya, dernier opus en date de Maïssa Bey, inspirée de cette romance bédouine de l'Algérie du XIXe siècle et superbement immortalisée par le poème de Bengitoun, est une néo-Algéroise transie d'amour et d'interdits. Par son roman, Maïssa Bey se garde bien de dresser le portrait de la femme algérienne. «Hizya n'est pas l'archétype de la fille algérienne», exorcise-t-elle. «Ce n'est pas la fille algérienne, mais une fille algérienne parmi d'autres.»